Kill
Bill : Volume 1
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Réalisateur : Quentin
Tarantino
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Genre : Action, Karaté Date : 26 novembre 2003 Durée : 1 h 52 Origine : Américain Distribution : Miramax Films / TFM Distribution
Voir la fiche de : Kill Bill : Volume 2 |
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Acteurs
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Directeur Photo
: Robert Richardson
Musique : RZA Chef
décorateur : Décorateur :
Yoshihito Akatsuka Costumes
: Chef Monteur : Sally Menke Montage : Joe
D'Augustine |
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Scénario : |
Producteur : Lawrence Bender
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Production :
Miramax Films |
Producteur
exécutif : Producteur Associé : Koko Maeda Dede Nickerson Coproducteur : Assistant réalisateur : William Paul Clark Réalisateur de 2nd équipe : Yuen Woo Ping |
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Lieux de tournage :
Austin, Texas, USA. Budget : 55 millions de $ |
Site officiel : France : http://www.killbill-lefilm.com/ USA : http://killbill.movies.go.com/ Récompenses : Golden Globe : 2004 Nomination Meilleure actrice dans un drame : Uma Thurman |
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Une tueuse à gages professionnelle, qui se fait appeler "The Bride", décide de mettre fin au contrat qui la lie à une organisation criminelle. Cependant, au cours de sa cérémonie de mariage, son ancien partenaire fait irruption dans l'église et tire sur la foule. Laissée pour morte, la tueuse retrouve ses esprits après un coma de cinq ans. Elle n'a alors plus qu'une seule idée en tête : venger la mort de ses proches en éliminant tous les membres de l'organisation criminelle parmi lesquels figurent les DiVAS (Deadly Viper Assassination Squad) et Bill, leur chef, qu'elle se réserve pour la fin. |
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Introduction KILL BILL est un hommage et une relecture des films de genre que son scénariste/réalisateur, Quentin Tarantino, a vus et aimés : les westerns spaghetti, les films darts martiaux chinois, les films de samouraïs et danimation japonais. Tarantino décrit le film comme un concentré du cinéma populaire quil a absorbé à doses massives au cours des trente-cinq dernières années. Le film, présenté en deux époques, se compose dune série de chapitres dont chacun puise son look et sa rythmique au sein dun genre distinct et senrichit de références à la culture pop et à dautres genres cinématographiques : une scène de flingage, typique du cinéma yakusa, est ainsi traitée en animé et accompagnée... dune musique de western italien. À travers de tels croisements, le cinéaste souligne à la fois la force dimpact et les analogies thématiques de genres sans liens apparents. Il névoque pas simplement les excès et les aspects les plus jubilatoires du cinéma de genre, mais aussi lesprit de rébellion sous-jacent qui lui confère une intensité émotionnelle et un pouvoir de fascination durables. Les personnages archétypiques de KILL BILL VOLUME 1 acquièrent par là une résonance inattendue qui saffirme au gré des scènes et nous mène inexorablement aux ultimes et dramatiques confrontations du VOLUME 2 (dont la sortie française est prévue pour le printemps 2004).
Une jeunesse à South Bay Aussi étrange que cela puisse paraître, KILL BILL doit une part de son inspiration à la région de South Bay, un secteur dOrange County situé au sud de Los Angeles et incluant Manhattan Beach. Le précédent film de Tarantino, JACKIE BROWN (1997), se situait dailleurs dans cette région dont il soulignait les nombreux charmes. South Bay possède encore quantité de cinémas de quartier et de deuxième exclusivité, spécialisés dans les vieux films blacks et les séries B de kung-fu. Quentin Tarantino : Au début des années 70, jétais gosse lorsque déferla aux États-Unis la vague des films de kung-fu. LOld School Martial Arts Cinema devint mon école. Pendant deux ans, il projeta sans discontinuer ces films. La fièvre du kung-fu retomba partout ailleurs, sauf dans ces salles de South Bay et celles du ghetto où elle sévit jusquau début des années 80. Je pense que cest un des plus grands genres cinématographiques qui ait jamais existé. À la télévision, Tarantino regardait la série Le Frelon Vert, dont le deuxième rôle était tenu par le jeune Bruce Lee, masqué. Plus tard, il suivit les exploits du maître du kung-fu eurasien Caine (David Carradine) dans la série ABC-TV Kung-fu. Quelques années plus tard, son intérêt pour les films daction asiatiques lamena à regarder une station locale diffusant en japonais sous-titré la série Shadow Warriors consacrée aux exploits du détective ninja Hattori Hanzo (Sonny Chiba). Lorsque la nouvelle vague du cinéma daction hongkongais atteignit les États-Unis au milieu des années 80, Tarantino - alors employé dune boutique vidéo de Manhattan Beach - fut parmi ses premiers et plus ardents défenseurs. Les Tarantinophiles avertis ont eu loccasion de remarquer cette influence sur les films de Tarantino. Les films hyper-violents de Sonny Chiba de la saga STREETFIGHTER influencèrent le scénario de TRUE ROMANCE, et le film daction hongkongais CITY OF FIRE reçut un hommage mérité dans le premier long métrage de Tarantino, RESERVOIR DOGS (1992). Quentin Tarantino : Sonny Chiba mest apparu dès les années 70 comme lune des plus grandes stars du cinéma daction, aux côtés de Charles Bronson et Clint Eastwood, explique le réalisateur. Je suis un grand fan des films darts martiaux à costumes produits dans les seventies par les Frères Shaw. Il y a deux pôles dans ma vie de cinéphile : les Shaw Brothers dun côté, le western italien de lautre. En fait, ils sont étroitement liés, car on retrouve dans les films des Shaw Brothers quantité demprunts aux westerns italiens. Durant les années 70, ces genres ont fréquemment usé dintrigues, images et plans similaires. Il y a entre eux une assez profonde parenté. L'influence asiatique Linfluence du cinéma asiatique sur KILL BILL ne se limite pas à sa ligne narrative et à son style visuel. Tarantino a aussi créé des rôles pour trois interprètes légendaires du cinéma darts martiaux. Pour Sonny Chiba, illustre sabreur du cinéma japonais, Tarantino a recréé le personnage du ninja Hattori Hanzo, héros de la série Shadow Warriors. À lacteur et artiste martial chinois Gordon Liu Chia-hui, il a réservé deux rôles. Dans KILL BILL VOLUME 1, Liu incarne Johnny Mo, chef de léquipe de gardes du corps nippons Crazy 88 (habillés en noir à la RESERVOIR DOGS). Dans KILL BILL VOLUME 2, il sera Pei Mei, un très populaire personnage de moine aux sourcils blancs qui apparut dans plusieurs succès des Frères Shaw. Ce dernier rôle constitue pour lacteur un contre-emploi notable : Liu a toujours joué pour les Shaw des héros purs et durs (ou occasionnellement comiques), alors que Pei Mei (fréquemment incarné par le comédien Lo Lieh) fut un des plus sinistres méchants de ce studio, quon vit trahir ses frères darmes dans des films comme EXECUTIONERS FROM SHAOLIN de Liu Jian-liang (1977). Liu se réjouit de voir David Carradine endosser le rôle de Bill et tint à lui témoigner son admiration : Sa série a largement contribué à éclairer les Occidentaux sur le kung-fu, explique lacteur. Un autre monde Tarantino ne sest pas borné à dupliquer ces diverses sources dinspiration. Il a transfiguré les genres, les a filtrés à travers sa sensibilité de fan américain, les a réinventés et croisés avec dautres pour révéler leurs parentés secrètes. Quentin Tarantino : Mes films se déroulent dans deux mondes
distincts. Le premier, cest lUnivers Quentin
de PULP FICTION et JACKIE BROWN - un univers intensifié, mais
plus ou moins réaliste. Le second, cest le Monde
du Cinéma. Lorsque des personnages de lUnivers Quentin
soffrent une toile, ils deviennent des spectateurs du Monde du
Cinéma, ils nous ouvrent une fenêtre sur ce monde. KILL
BILL est le premier de mes films à se dérouler dans le
Monde du Cinéma. Cest moi en train dimaginer ce qui
se passerait si ce monde existait réellement, si je pouvais y
emmener une équipe de cinéma et y faire un film de Quentin
Tarantino sur ces personnages. KILL BILL se déroule hors de notre
quotidien. Dans ce monde, les femmes ne sont pas le sexe faible. Elles
ont les mêmes instincts prédateurs que les hommes, la même
passion de la chasse, le même désir de tuer ou de se faire
tuer. Le challenge, pour les acteurs, consista donc à se glisser
dans cet univers parallèle de type série B et, dans le
cas dUma Thurman, à dégager lhumanité
du personnage de la Mariée au sein dune épopée
irréaliste et parfaitement démente.
Conçu au départ comme un seul long métrage, KILL BILL sera finalement présenté en deux époques : KILL BILL VOLUME 1 et KILL BILL VOLUME 2. Quentin Tarantino : Durant lécriture, jai pensé qu Harvey Weinstein pourrait accepter cette formule, mais je nai pas été jusquà la lui suggérer. Plus tard, il décida de lui-même de ne rien couper et me demanda si jaccepterais... de présenter le film en deux époques. Génial ! ai-je répondu, et en lespace de deux heures, jai su comment procéder. À lapproche dune décision finale, Tarantino présenta à Harvey Weinstein un montage du futur KILL BILL VOLUME 1 : Ce sera, au choix, le premier film ou la première moitié du film. La réponse fut immédiate : Cette fin est géniale ! Pas de problème ! Nous aurons deux films. La pratique commence à se répandre aux Etats-Unis de planifier certains films sous forme de série. Elle est déjà courante en Europe depuis des décennies, et encore plus en Asie. Lune des inspirations de KILL BILL, lépopée yakusa de Kinji Fukasaku BATTLES WITHOUT HONOR AND HUMANITY, aligna ainsi plusieurs épisodes échelonnés sur une période de trois ans. Chacun des deux volumes de KILL BILL possède sa tonalité et son ambiance propres et recourt à des stratégies narratives contrastées. Pour ce qui est de la touche asiatique, par exemple, le VOLUME 1 est sous influence japonaise, via le personnage clé de Hattori Hanzo interprété par Sonny Chiba (qui est également le chorégraphe kenjutsu du film). Le VOLUME 2, en revanche, est dinspiration chinoise, de par la présence de Gordon Liu Chia-hui, figure légendaire du cinéma darts martiaux qui incarne le moine aux sourcils blancs Pei Mei, implacable instructeur kung-fu de la Mariée. (Liu tient en outre dans le VOLUME 1 le rôle secondaire de Johnny Mo, homme de main de la chef yakusa O-Ren Ishii). Les nombreuses références - notamment musicales - au
western spaghetti trouveront une résonance accrue dans le VOLUME
2, lors de la rencontre de la Mariée avec Budd (Michael Madsen)
à El Paso, et durant la poursuite de Bill au Mexique. Détail
frappant : Bill, héros éponyme du film, apparaît
à peine dans le VOLUME 1. Sa présence nimprègne
pas moins le film, et lon peut entendre à plusieurs reprises
linimitable murmure de son interprète, David Carradine.
Il sera omniprésent dans le VOLUME 2, axé principalement
sur sa confrontation avec la Mariée. Dautres considérations,
purement pratiques, amenèrent Tarantino à distiller KILL
BILL à petites doses : laffrontement final
du VOLUME 1 dans la Villa Bleue est un combat au sabre de
vingt minutes, opposant la Mariée aux sbires dO-Ren Ishii
(Lucy Liu). La réalisation de ce tour de force prit huit semaines
(deux de moins que la totalité de PULP FICTION !), et arrivés
à ce point, nous étions tous épuisés et
avions besoin de marquer une pause, explique Tarantino. KILL BILL adopte la structure basique dun film de kung-fu, définie dès les premières productions des Frères Shaw comme ONE-ARMED SWORDSMAN de Chang Cheh (1967), et reprise dans des dérivés américains tardifs comme KARATÉ KID (1984). À quoi sajoutent, inévitablement, la notion de code dhonneur et lobligation de bien agir, propres au guerrier samouraï comme au héros kung-fu. Uma Thurman : Limportant pour moi, cest que la Mariée possède une certaine noblesse. Elle ne prend pas ses adversaires en traître. Elle confronte chacun sur son terrain, lui laisse le choix des armes, le provoque en duel. Elle respecte scrupuleusement les Règles dHonneur des Vipères, énoncées à mon usage par Quentin. Quentin Tarantino : Après la mise en route du projet, jai consacré une année entière à lécriture et à la réécriture. Pour me stimuler et soutenir mon inspiration, je visionnais au moins un, voire deux ou trois films darts martiaux par jour. Jai également vu des films de samouraïs et danimé. Des images de tous ces films mont habité et imprégné jusquà devenir une seconde nature et à me fournir le matériau brut de KILL BILL. Je nai absolument pas suivi la production hollywoodienne de cette année. Tarantino consulta fréquemment sa vedette en cours décriture : Jai même laissé le personnage plus ouvert quà lhabitude pour permettre à Uma dy contribuer de façon suivie. Uma Thurman : Quentin a aussi entrepris de minitier aux différents cinémas de genre. Dès le départ, il ma montré THE KILLER de John Woo, COFFY avec Pam Grier, les films de Sergio Leone avec Clint Eastwood, ROLLING THUNDER de John Flynn et LADY SNOWBLOOD, un film de samouraï féminin qui a été une source dinspiration majeure. Jai ainsi absorbé quantité dimages tirées de films daction qui me terrifiaient passablement, et je me demandais tout le temps : Mais quest-ce quil peut bien écrire pour moi ? Au printemps 2001, KILL BILL était donc prêt à démarrer et Miramax sapprêtait à annoncer le début des prises de vues lorsque, en plein Festival de Cannes, Tarantino annonça à Harvey Weinstein et Lawrence Bender quUma Thurman était enceinte. Léquipe étant sur le pied de guerre et les décors construits, la réaction normale eut été de changer dinterprète. Mais rien ne serait jamais normal sur KILL BILL... Quentin Tarantino : "KILL BILL est mon hommage au cinéma de genre, mais cest aussi mon Sternberg à moi. Imaginez que nous soyons en 1930. Vous vous appelez Josef Von Sternberg et vous êtes à la veille de tourner MOROCCO lorsque vous apprenez que Marlene Dietrich est enceinte. Que faites-vous ? Vous tournez le film sans elle ? Bien sûr que non. Vous attendez Dietrich." Le réalisateur estime quen fin de compte, le décalage profita au film : Nous naurions probablement pas dû commencer si tôt. Un tournage en Chine, au Japon et aux États-Unis demandait une préproduction plus longue. Le bébé dUma nous a fait une faveur. Il a amélioré le film. En janvier 2002, lactrice accouchait. Le 2 mars, elle se présentait,
comme prévu, au centre dentraînement de KILL BILL. Lorsque je tournais ma série, je ne faisais pas mystère de mon ignorance du kung-fu. Chaque fois quon minterrogeait à ce sujet, je répondais je ne sais rien... et enchaînais avec un mouvement dune subtilité spectaculaire. Cétait pour rire, bien sûr, mais je voulais également souligner que le mouvement le plus gracieux, le plus efficace, le plus rapide nest rien comparé à tous ceux quil vous reste encore à apprendre. - David Carradine, The Spirit of Shaolin : A Kung Fu Philosophy (Tuttle, 1991). Le centre dentraînement de KILL BILL fut installé dans un entrepôt proche des bureaux de production de la toute nouvelle société Super Cool Man Chu Productions, à Culver City, au sud de Los Angeles. Cette formation comprenait trois volets : apprentissage du japonais sur CD, initiation à la technique kenjutsu du maniement de sabre auprès de Sonny Chiba et aux arts martiaux sous la tutelle du chorégraphe et réalisateur Yuen Wo-Ping. Le grand public a découvert Maître Yuen grâce à MATRIX et TIGRE ET DRAGON, mais Tarantino en était fan bien avant sa percée hollywoodienne. Cest dailleurs grâce à lui que le film de Yuen, IRON MONKEY, a été distribué par Miramax aux États-Unis en 2000, sous la bannière Quentin Tarantino Présente. Quentin Tarantino : Cest avec sa première réalisation, SNAKE IN THE EAGLES SHADOW, interprétée par Jackie Chan, que jai découvert Maître Yuen. Jai commencé à prendre conscience de son style de kung-fu, de ses chorégraphies, vers 1993, et jai pu dès lors distinguer son apport de celui de ses collègues. Jai trouvé que ses chorégraphies, dun professionnalisme impeccable et dune créativité débridée, étaient les plus imaginatives de tous les temps. Durant la première étape de la préparation, Yuen et son équipe initièrent les acteurs aux voltiges avec filin, une spécialité hongkongaise abondamment illustrée par MATRIX et TIGRE ET DRAGON. David Carradine : Jai pensé naïvement que javais une avance confortable sur mes partenaires et que je navais pas besoin dentraînement du fait de mes quarante ans de pratique du kung-fu. Erreur ! Jai dû réapprendre tout ce que je croyais connaître. Et ce fut dur. Les séances de stretching matinales étaient suivies dexercices darts martiaux et de répétitions chorégraphiques. Laprès-midi, les comédiens ahanaient sur divers appareils de musculation : vélo, rameur, etc. La difficulté de cet entraînement était accrue du fait que chacune des disciplines sollicite des groupes musculaires distincts. Lucy Liu : Les arts martiaux chinois et le sabre de samouraï nippon requièrent des entraînements spécifiques et totalement différents. Le poids du sabre vous oblige à renforcer intensivement cuisses et avant-bras, alors que les arts martiaux demandent une grande souplesse au niveau du torse. Ce sont deux langages corporels bien distincts. David Carradine, qui pratique le kung-fu Shaolin depuis toujours, prit un plaisir particulier à lentraînement au sabre. Cétait une expérience nouvelle, que je compte poursuivre encore pendant bien des années. Sonny Chiba : Le combat au sabre est dessence intime. Il repose sur un contrôle rigoureux du souffle et un contact oculaire avec ladversaire, dont vous devez appréhender la personnalité, lire les pensées et évaluer le rythme respiratoire. Cest un combat dhomme à homme, basé sur les relations interpersonnelles, lexpression émotionnelle et spirituelle, lâme et le cur. Cest Uma qui devait le plus apprendre sur ce film, afin de lutter avec ou contre des gens qui font cela depuis toujours. Jai été particulièrement impressionné par sa disponibilité, son exigence, son professionnalisme. Lucy bouge merveilleusement et est très habile, très travailleuse. Elle possède une excellente technique. Sa concentration, sa rapidité, sa pratique du cinéma daction furent autant datouts. Outre son agilité, Daryl Hannah ma impressionné par son regard dune inflexible détermination. Elle a les yeux perçants dun guerrier japonais. Extrêmement sérieuse et concentrée, je lai rebaptisée le Samouraï aux Yeux Bleus. Certains des interprètes durent aussi apprendre à dire quelques répliques en japonais. Julie Dreyfus : Je tire mon chapeau à Lucy et Uma. Il ma fallu des années pour apprendre le japonais et elles ont acquis en quelques mois la maîtrise de cette nouvelle langue, tout en poursuivant un entraînement physique intensif. Uma (nuance le compliment) : Jai cherché à atteindre un niveau qui me permettrait de dire ces répliques avec conviction, comme si jen comprenais chaque mot. On me dit que mon japonais est compréhensible. Je nen demandais pas plus. Pendant ce temps, Tarantino réunissait son équipe... Lauréat dun Oscar, le directeur de la photo, Robert Richardson, fut choisi pour une raison précise : son habileté à manier les styles visuels les plus divers. Il a souvent collaboré avec Oliver Stone, notamment sur TUEURS NÉS et JFK qui mêlaient dans une même séquence des looks très variés, voire différents types de supports : 35mm, 16mm gonflé, vidéo, etc. Or chaque nouvel épisode de KILL BILL imposerait un style pictural et un montage spécifiques conformes aux canons des genres qui lont inspiré. Le Maître Yuen Wo-Ping a appris son métier auprès de son père, feu Simon Yuen Hsiao-tien, acteur de cinéma et illustre figure de lopéra de Pékin. Devenu réalisateur, Wo-Ping lui attribua le rôle-titre de DRUNKEN MASTER (1978), avec Jackie Chan. Maître Yuen souligne que les techniques quil enseigne sont dessence théâtrale plutôt quorientées vers le combat. Yuen Wo-Ping : Ce sont des acrobaties et des arts martiaux conçus pour la scène et typiques de la Chine du Nord. Cest totalement différent des combats de kung-fu et même du wushu, discipline inventée en Chine et que pratique Jet Li. Ce quon vous apprend à lopéra de Pékin ressemble aux arts martiaux, mais est en réalité complètement différent car pensé pour la scène ou la caméra. Bref, pour le spectacle. Conçu spécialement pour un enchaînement de combats de grande ampleur et de styles très divers, un immense décor avait été mis à la disposition de Tarantino. Conscient de limportance de lenjeu, le réalisateur avoue : Javais déjà écrit des scènes daction, mais je nen avais encore réalisé aucune. Jadore les films daction, je pense que cest peut-être la forme de cinéma la plus pure et jallais devoir mettre la barre assez haut. Le script fournissait une description minutieuse et particulièrement fouillée des scènes daction. Tarantino les avait peaufinées pendant près dun an et continua dy travailler à Pékin, introduisant des descriptions encore plus détaillées et en interprétant lui-même ces scènes, plan par plan, face à son équipe, ses acteurs, Maître Yuen et ses voltigeurs. Lawrence Bender : Quentin a passé ainsi près dune journée à jouer lintégralité de la séquence de la Villa Bleue, bondissant à travers le décor, sécroulant à terre, saffalant sur une chaise, etc. Wo-Ping et son équipe suivaient cela, médusés, nayant jamais rien vu de tel. Mais cette démonstration leur permit de comprendre parfaitement la mécanique de cette séquence, qui conjugue les apports de Quentin et de Maître Yuen, lhumour du premier et le style percutant du second se fondant en un ballet parfaitement réglé. Les combats au sabre de samouraï entre la Mariée et les lutteurs du Crazy 88, et plus particulièrement son duel avec O-Ren, sont assez gracieux pour mériter cette comparaison, tandis que son sauvage affrontement avec la jeune tueuse Gogo Yubari ferait plutôt penser à un dessin animé grandeur nature. Larme étrange de Gogo évoque à la fois les yoyos mortels des petites super-héroïnes de la série TV japonaise Sukeban Deka et lengin de mort dun des films darts martiaux favoris de Tarantino, MASTER OF THE FLYING GUILLOTINE (1976). Maniée avec une féroce conviction par Chiaki Kuriyama, elle acquiert dans cette scène, magistralement agencée par Yuen Wo-Ping, une force terrifiante. Yuen Wo-Ping : Chaque mouvement est réglé en fonction de la caméra. Pour truquer un coup, on choisit, classiquement, un angle qui en masque le point dimpact. Mais, parfois, lobjet de la scène est de mettre en évidence la rudesse du coup porté. Un contact direct simpose alors, et lacteur mettra tout son talent à vendre leffet, en feignant daccuser un coup dune grande violence. Les acteurs découvrirent quaucune mise en forme ne vous prépare totalement à la réalité dun combat. Uma Thurman : Au terme de mon entraînement, javais le sentiment davoir acquis certaines aptitudes au combat. Durant la dernière semaine, jai travaillé la chorégraphie à un rythme quotidien afin dassimiler les centaines de mouvements et combinaisons de cette scène. Mais une fois sur le plateau, Quentin a zappé toute cette chorégraphie, mobligeant à assimiler à chaud cinq, dix, quinze points précis par plan, tandis que léquipe caméra attendait patiemment que je sois prête ! Jai soudain réalisé que ce que Wo-Ping mavait inculqué de plus précieux était dapprendre... à apprendre. Yuen Wo-Ping, généralement considéré comme le meilleur spécialiste mondial des films darts martiaux, ne tarit pas déloges sur son élève. Quentin Tarantino : Un jour, Yuen ma dit : Je ne sais pas si tu réalises le niveau qua atteint Uma. Certains acteurs qui font illusion, ma-t-il confié, ne savent quexécuter parfaitement un ou deux mouvements par plan. Alors quUma est capable dassimiler sur le champ des combinaisons de quatre ou cinq mouvements, comme par exemple de bondir dans les airs, faire un saut périlleux, retomber sur ses pieds et tuer deux adversaires. Elle était si bonne, si sûre delle-même que Wo-Ping et moi pouvions changer à tout moment la chorégraphie. Le grand combat entre la Mariée et O-Ren, dans le Jardin Enneigé magnifiquement proportionné de la Villa Bleue, met en vedette la qualité exceptionnelle de la décoration, savant mélange de décors contemporains branchés et de décors traditionnels à lélégance raffinée. Autre élément visuel notable de la Villa Bleue, les costumes des Crazy 88s font référence aux célèbres complets noirs, chemises blanches et cravates noires de RESERVOIR DOGS et PULP FICTION. Un petit masque noir sy ajoute, en hommage au personnage de Kato, interprété par Bruce Lee dans la série Le Frelon Vert. La combinaison de pilote, jaune à stries noires, de la Mariée est, quant à elle, une copie conforme de celle que Bruce Lee aurait dû porter dans son dernier film - inachevé - GAME OF DEATH. Après avoir mis en boîte lessentiel des séquences de Pékin, léquipe se déplaça pour une semaine au temple bouddhiste de la Montagne de Mia Gao, auquel on accède par un escalier de 240 mètres de haut. Cette ascension quotidienne obligée nétait cependant quun modeste prélude aux séquences dentraînement au kung-fu, The Cruel Tuilage of Pei Mei, que lon découvrira dans KILL BILL VOLUME 2. Une fois redescendue, léquipe regagna pour quelques jours les Studios de Pékin, où on avait monté entre-temps les deux petits décors de la séquence avec Hattori Hanzo : le sushi bar et son grenier. À linstar de la vaste Villa Bleue, ces décors associent bambou, pierre et autres matériaux organiques qui leur confèrent une réalité tangible et renforcent la plausibilité de la scène. Le restaurant est équipé dun petit bar et deux ou trois tables, tandis que le grenier abrite une large collection de sabres. Cest le décor de deux scènes clés entre la Mariée et le maître Hattori (Sonny Chiba), cet ancien forgeron qui sest juré de ne plus jamais fabriquer un seul outil de mort. La Mariée ayant grand besoin de ses services, tente de le faire revenir sur sa décision dans cette scène qui donne à Uma Thurman loccasion de parler japonais pour la première fois. Uma Thurman : À Los Angeles, Sonny Chiba mavait initiée au maniement du sabre, et cette scène devait être notre première confrontation dacteurs. Jy utilise les rudiments de japonais acquis au fil des mois, tandis que lui sefforce tant bien que mal de parler anglais - une variante sur le thème de laveugle et du paralytique ! Hasard ou coïncidence, la dernière image de KILL BILL tournée en Chine figure, sous diverses formes, dans tous les films de Quentin. Cest un plan subjectif, filmé de lintérieur dun coffre de voiture - en loccurrence un plan dUma Thurman penchée sur le corps de Julie Dreyfus. Nous lavons tourné très tard dans la nuit, raconte Lawrence Bender, mais dans leuphorie, même si nous savions quil serait dur de partir. Quentin Tarantino, le producteur Lawrence Bender et les principaux interprètes de KILL BILL débarquèrent en Chine en mai 2002 pour continuer lentraînement et débuter les répétitions. À la mi-juin, le producteur délégué E. Bennett Walsh, les producteurs associés Dede Nickerson et Koko Maeda et le chef opérateur Robert Richardson avaient réuni une équipe technique multinationale intégrant plusieurs escouades de traducteurs et avaient entamé le travail aux Studios de Pékin. Construit en 1949, dans le nord de la capitale, le Beijing Film Studio devint rapidement le principal centre de production cinématographique de Chine. Il est, aujourdhui encore, le seul complexe local disposant de plateaux assez vastes pour accueillir limmense décor à deux niveaux du cabaret/restaurant la Villa Bleue, qui constitue le QG dO-Ren Ishii. Quentin Tarantino : Le Beijing Film Studio était un projet personnel de la femme de Mao, un instrument rêvé pour tourner des films de propagande. Le plus surprenant, cest quil ne sagit pas dun simple studio, mais dune communauté peuplée de techniciens liés à vie à ce centre de production. On y trouve une école, des immeubles dhabitation, des boutiques, bref un vrai village géré par des gens qui consacrent leur existence au cinéma. Lawrence Bender : Aller en Chine a été la plus heureuse de toutes nos décisions. Une fois sur place, Quentin a tenu à bénéficier pleinement des forces vives du pays. Il ne voulait pas faire venir une équipe 100% américaine qui aurait dicté sa loi. Résultat : nos décorateurs japonais et chinois ont accompli ensemble des prodiges que nul ne pouvait escompter. KILL BILL a employé pas moins de trois chefs décorateurs (un Chinois, un Japonais, un Américain), deux chefs costumiers et chefs accessoiristes chinois et américains, une équipe dassistants chinois et américains, la coordination de lensemble des acteurs et techniciens étant assurée par le premier assistant américain Bill Clark (PULP FICTION, JACKIE BROWN) et son homologue chinois, Zhang Jin Zhan. Uma Thurman : On voyait en permanence une nuée de traducteurs courir dans tous les sens : un interprète japonais-anglais, un chinois-anglais, un japonais-chinois, jen passe. Cétait le délire ! Lawrence Bender : Les méthodes de travail présentent des différences fondamentales. Laméricaine repose sur une spécialisation poussée, chaque poste technique étant tenu par une ou deux personnes qui ne font rien dautre. Résultat : un plateau ordonné et une ambiance très concentrée. En Chine, par contre, la moindre opération mobilise vingt types qui vont se démener, faire un boucan denfer... et obtenir très vite des résultats. Un exemple éloquent de cette efficacité : lors de sa première journée de tournage en Chine, léquipe réalisa vingt-deux plans, un record impensable pour une production hollywoodienne classique. Le Japonais Yohei Taneda et lAméricain David Wasco coordonnèrent les décors et le look du film en sappuyant sur les indications précises de Tarantino. Yohei Taneda : Aucun détail néchappe à Quentin. Il exige telle nuance de bleu à larrière-plan, tel rouge pour une tache de sang, il veut voir comment tel jaune ressort sur une couche de neige blanche, etc. Il possède un sens visuel aigu et vous décrit très exactement ce quil attend. Au moment où il dessine ses décors, il sait déjà comment il les filmera. Il voulait faire de la Villa Bleue un espace pour une symphonie dactions. À chaque portion du décor est donc affectée une couleur spécifique, contrastant puissamment avec les autres : des rouges francs pour le couloir, du vert japonais traditionnel pour la salle à manger et enfin un bleu nuit pour le Jardin Enneigé où se déroule le combat final. Le Japon La portion chinoise du tournage sacheva à 1 heure du matin le 1er septembre 2002. Deux jours plus tard, une cinquantaine dacteurs et techniciens avaient gagné Tokyo pour y entamer les séquences de nuit. Lawrence Bender : Nous avons tous ressenti un choc culturel à notre arrivée, tant sont grandes les différences entre Tokyo et Pékin. Les conditions de tournage sont très dures à Tokyo. La commission cinéma, de création récente, a édicté des règles de travail très strictes. Jadore cette ville, nous y avons tourné de très beaux extérieurs, mais ce ne fut pas de tout repos. Ces extérieurs comprennent une poursuite nocturne à travers les rues de Tokyo, durant laquelle la Mariée juchée sur sa moto traque larrogante caravane de voitures et motos de luxe dO-Ren. Une séquence de transition brève mais très élaborée qui demanda plusieurs nuits de travail sur le Rainbow Bridge et les routes insulaires avoisinantes. Pasadena Après trois mois de tournage astreignants en Chine et au Japon, Uma Thurman neut pour sa part, aucune difficulté à se réadapter : Je nai jamais été aussi heureuse quen découvrant la coquette petite maison américaine, entièrement moquettée, de Pasadena où la Mariée affronte son ancienne collègue Vernita. Javais presque limpression de débarquer sur un autre film, mais je savais bien que cétait le même : nous navons jamais quitté un décor de KILL BILL avant de le réduire en miettes ! Ce quUma et Vivica A. Fox entreprirent sans tarder, échangeant insultes et coups de couteau, brisant furieusement les meubles puis les murs de la maisonnette... Et nous nen sommes quà la moitié du film... |