CHARLES DICKENS
Repères biographiques
Charles Dickens naît le 7 février 1812 à Portsmouth,
en Angleterre. Ses parents, John et Elizabeth, sont issus d'un milieu
modeste. L'enfance de Charles est heureuse mais lorsque son père
est muté à Londres, la situation de la famille se dégrade,
au point que Charles est contraint d'abandonner ses études. L'endettement
des Dickens est tel que le père est emprisonné trois mois.
Charles doit aller travailler dans une usine de cirage, la Warren's Blacking
Factory. Il a douze ans. Il prend brutalement conscience de la précarité
de la vie, de l'ampleur de la misère ouvrière et de la sévérité,
voire de l'injustice des institutions du royaume. Cette expérience,
traumatisante après une enfance d'insouciance, marquera toute son
oeuvre. En 1827, la famille est expulsée pour nonpaiement de loyers.
Charles trouve un emploi dans un cabinet d'avocats, Ellis & Blackmore.
Il se forme lui-même à la sténographie.
En 1830, il se fiance avec Maria Beadnell, mais le père de celle-ci,
banquier, juge le rang social de Dickens indigne et s'arrange pour qu'ils
rompent.
En 1831, Charles suit les débats parlementaires de la Chambre
pour le compte de plusieurs journaux. En 1834, le jeune homme devient
journaliste au Morning Chronicle, il rencontre la fille du directeur de
la publication, Catherine Hogarth, et publie ses premiers récits
en feuilletons. Il a vingtdeux ans. Ces «Esquisses», qu'il
signe du pseudonyme de Boz, provoqueront la commande des «Aventures
de M. Pickwick», dont la publication débutera la veille de
son mariage avec Catherine en avril 1836. C'est en 1837 que commence la
publication d'«Oliver Twist» sous forme de feuilleton dans
le magazine mensuel, Bentley's Miscellany, avec un soustitre : «The
Parish Boy's Progress». L'intention de Dickens, dans les premiers
épisodes, est de décrire à ses lecteurs ce que sont
les véritables conditions de vie d'un «parish boy»,
un garçon pris en charge par la paroisse, après la mise
en place du nouveau Poor Law Act de 1834. Cette loi sociale dictait les
conditions de prise en charge des indigents par les paroisses. Dickens
avait assisté aux virulents débats autour de cette loi controversée
lorsqu'il était reporter au Parlement. Il continuera ses attaques
contre elle sous forme de fictions ou dans ses écrits de journaliste
jusqu'à la fin de ses jours. Le succès d'«Oliver Twist»
confirme la réputation de Dickens et l'impose. Suivront «Nicolas
Nickleby» en 1838, «Barnaby Rudge» en 1841, «Le
Magasin d'antiquités» quelques mois plus tard. Son voyage
aux États-Unis lui révèle un monde esclavagiste et
spéculateur, il en tirera «Notes Américaines»
en 1842, puis «Martin Chuzzlewit».
Il publiera d'autres oeuvres, dont «Contes de Noël»
en 1843, mais il faut attendre 1849 pour qu'il publie l'une de ses oeuvres
majeures : «David Copperfield». Il enchaînera ensuite
les publications et s'essaiera même au théâtre en tant
qu'auteur, metteur en scène et comédien en 1845. En 1858,
il quitte sa femme, qui lui a donné dix enfants et entame, parallèlement
à sa carrière d'écrivain, une activité de
lecteur-conférencier. Il présente ses oeuvres à travers
les grands pays d'Europe. En 1854, il publie «Les Temps difficiles»,
en 1859, «Le Conte des deux cités» et entre 1860 et
1861, «Les Grandes Espérances», qui paraissent en feuilleton
dans All The Year Round.
Le 9 juin 1865, un accident de chemin de fer à Staplehurst le laisse
affaibli et difficilement capable de se déplacer. En 1870, après
une dernière tournée de lectures publiques en janvier et
une rencontre avec la Reine Victoria en mars, il décède
cinq ans jour pour jour après cet accident. Il a cinquante-huit
ans et laisse un pays en deuil national et un roman inachevé :
«Le Mystère d'Edwin Drood». Charles Dickens est inhumé
à l'abbaye de Westminster.
NOTES DE PRODUCTION
En 2002, Roman Polanski était unanimement acclamé pour LE
PIANISTE. Après avoir achevé ce film très personnel,
il était déterminé à passer à un projet
complètement différent. Il voulait en particulier faire
un film pour un jeune public. Avec ses associés à la production,
Robert Benmussa et Alain Sarde, il a alors commencé à lire
des livres pour enfants, à la recherche de l'histoire idéale.
Roman Polanski se souvient : «Il m'a été difficile
de choisir ce que j'allais tourner après LE PIANISTE. Je souhaitais
réaliser un film pour mes enfants parce qu'ils s'intéressaient
à mon travail et que les sujets que j'avais traités jusqu'alors
ne leur parlaient pas vraiment. Je leur lis des histoires chaque soir
avant qu'ils ne s'endorment, et je sais ce qui les fait rêver. J'ai
donc réfléchi à une histoire qui pourrait les séduire,
les captiver.» C'est l'épouse de Roman Polanski qui lui a
suggéré de faire une nouvelle version dOLIVER TWIST.
Polanski a rapidement découvert que la véritable histoire
de Dickens n'avait pas été racontée au cinéma
depuis la version de David Lean en 1948 et la comédie musicale
de Carol Reed «Oliver !» vingt ans plus tard. Cela faisait
donc près de quarante ans, deux générations
Le temps était venu. Le réalisateur explique : «OLIVER
TWIST comporte plusieurs niveaux de lecture. C'est à la fois un
parcours initiatique, l'apprentissage de la vie, une saga romanesque se
déroulant au coeur d'une époque fascinante où le
pire côtoyait le meilleur. Comme dans tous ses romans, Dickens y
mêle humour et tristesse. Je suis particulièrement réceptif
à son sens de l'ironie, son goût du second degré très
britannique. Les enfants aiment beaucoup cela aussi. Pour moi, le côté
sombre d'OLIVER TWIST n'a jamais été un problème
vis-à-vis des plus jeunes. C'est une part inhérente à
tous les contes, qu'ils soient de Perrault ou des frères Grimm,
et les enfants adorent !» Le réalisateur poursuit : «Enfant,
les romans de Dickens me fascinaient. J'aime aussi les représentations
littéraires et cinématographiques de la période victorienne.
«Oliver Twist» est une longue histoire, riche en rebondissements
d'abord parce que les écrivains de cette époque publiaient
leurs romans en feuilletons dans les revues. Ces histoires n'ont pas été
conçues comme des récits unitaires, structurés comme
pourraient l'être un livre ou un scénario. Pour chaque épisode,
l'auteur devait proposer un temps fort et donner envie de découvrir
la suite. Tout le travail d'adaptation consistait à puiser dans
cette matière en créant une structure et en respectant l'esprit
de l'oeuvre.» «Le film suit le parcours aventureux d'Oliver,
un jeune orphelin. Dans le roman, les intrigues secondaires sont nombreuses
et le style est plus lent que celui adopté pour le film. Nous nous
sommes concentrés sur l'intrigue principale que nous avons envisagée,
un peu comme une tragédie grecque, en trois temps.» «Une
des forces de l'oeuvre de Dickens réside dans la complexité
de ses personnages hauts en couleur et très détaillés.
Pour le film, je voulais que chaque personnage soit marquant. Ronald Harwood,
le scénariste, approuvait tout à fait l'idée d'une
multitude de personnages qui permettait de compenser la suppression des
intrigues secondaires.» Roman Polanski précise : «Nous
ne cherchons pas à être réalistes, ce serait même
plutôt le contraire. Les personnages dans cette histoire sont plus
grands que nature, nous accentuons leur humour et leur côté
excentrique. C'est un conte dickensien dans le plus pur sens du terme,
ce qui signifie qu'il est exubérant, intrigant, intemporel, et
plein de rebondissements constamment surprenants.» Ronald Harwood,
qui a remporté l'Oscar du meilleur scénario pour LE PIANISTE,
retrouve Roman Polanski. Il se souvient : «J'ai découvert
Dickens quand j'étais dans une école anglaise d'Afrique
du Sud. Je l'ai toujours considéré comme l'un des grands
romanciers de la littérature anglaise et maintenant que j'ai adapté
une de ses oeuvres, je sais que c'est vrai ! Travailler sur le roman d'un
tel génie est plus que captivant. Le talent de Dickens reposait
aussi sur sa capacité à tenir le lecteur en haleine.»
Le scénariste ajoute : «Dickens était aussi un grand
acteur. Il avait pour habitude de déclamer ses textes dans de grandes
salles avec pour seul accessoire, un bureau sur lequel il pouvait s'appuyer
et poser son manuscrit. Il ne le lisait jamais parce qu'il le connaissait
par coeur. Son public était sous le charme. Roman sait raconter
des histoires avec autant de force. Il pourrait vous réciter «Oliver
Twist» comme l'aurait fait Dickens, en y ajoutant peut-être
quelques détails.» Le scénariste poursuit : «Charles
Dickens n'avait qu'une vingtaine d'années lorsqu'il a écrit
«Oliver Twist». C'est un incroyable exploit ! Il était
à court d'argent et il a dû le rédiger très
vite pour passer à d'autres publications. Journaliste et greffier,
il a toujours défendu la cause des plus pauvres, dans «Oliver
Twist», il critique le manque de protection sociale en Angleterre
ainsi que les abus commis dans les maisons de travail, ces institutions
censées accueillir les orphelins et les indigents. C'est le premier
écrivain réaliste de son temps à avoir traité
des problèmes sociaux.» Roman Polanski intervient : «Les
bons livres ne vieillissent pas. Leurs thèmes sont universels et
parlent à tous, peu importe l'époque. Le parcours d'un orphelin
dans un pays en pleine mutation est toujours un thème d'actualité.
La situation est bien sûr très différente aujourd'hui
à Londres et à Paris mais dans des villes telles que Bombay,
Bangkok ou Mexico, rien n'a changé. Quelque dix millions d'habitants
s'entassent dans ces villes en pleine expansion. Londres était
à cette époque la plus grande ville du monde et se développait
à une vitesse incroyable. Les paysans venaient s'y installer en
masse et n'avaient aucun moyen de subsistance. C'est aussi ce contexte
social qu'explore l'histoire d'OLIVER TWIST.» Ronald Harwood confie
: «Adapter le roman n'intimidait pas Roman. Tout est allé
très vite. Je savais que la seule chose à faire était
de décider des passages que nous allions supprimer. Le roman fait
trois cent cinquante pages et le film devait durer deux heures. Il fallait
se concentrer sur l'essentiel. Après avoir défini les grandes
lignes du scénario, j'ai contacté Roman qui m'a donné
son accord. Il était très impatient.» «Lorsque
Roman a lu le scénario, il était satisfait. Il a juste apporté
quelques modifications à la fin pour la rendre un peu plus dure
que je ne l'avais fait. Nous avons décidé de raconter l'histoire
à partir du moment où Oliver entre à l'orphelinat
jusqu'à la fin en écartant les intrigues secondaires.»
«Nous avons aussi adopté le point de vue d'Oliver. C'est
lui qui porte la narration. Si je devais résumer le roman en quelques
mots, je dirais simplement que c'est l'histoire d'un petit garçon
qui réussit à prendre en main son destin malgré les
épreuves qu'il rencontre.»
LES DÉCORS
Roman Polanski commente : «Londres est sans aucun doute l'un des
personnages d'OLIVER TWIST. Son ambiance, son architecture, ses différents
quartiers sont autant d'éléments essentiels. Il en existe
de nombreuses représentations au XIXe siècle, comme les
gravures de Gustave Doré réalisées dix ou vingt ans
après la période où se situe l'histoire. Nous avons
effectué de nombreuses recherches pour réunir toute une
documentation sur la vie quotidienne pendant la révolution industrielle.
Nous avons surtout utilisé l'oeuvre d'un artiste allemand ayant
vécu à Londres et qui a réalisé des centaines
d'illustrations. Il est très intéressant de se plonger dans
une période de l'Histoire et d'y puiser ces petits détails
qui vont donner de l'authenticité à chaque scène.»
Ronald Harwood précise : «L'oeuvre de Dickens a beaucoup
influencé notre perception de Londres à l'époque
victorienne. Même si sa vision de la capitale ne correspond pas
exactement à une réalité exhaustive, nous nous en
sommes inspirés, reproduisant les rues étroites et insalubres,
les sans-abri couchés sur le pas des portes d'entrée, les
bâtiments écrasants.
Il était important de saisir la composante imaginaire et vibrante
de sa vision et pas seulement la véracité socio-historique
de ses descriptions.» Le chef décorateur polonais, Allan
Starski, lauréat d'un Oscar pour son travail sur LA LISTE DE SCHINDLER
et de maintes récompenses pour LE PIANISTE, s'est occupé
des fascinants décors d'OLIVER TWIST. Le plus spectaculaire d'entre
eux est la reconstitution de quartiers entiers de Londres.
«Avec Roman, nous avons commencé à parler du film
avant même que le scénario ne soit terminé. Nous avons
analysé le livre et les versions cinématographiques précédentes.
Je me demandais surtout comment adapter l'histoire au style de Roman.
Il ne voulait pas seulement raconter l'histoire d'Oliver Twist, il désirait
aussi montrer le passage d'une Angleterre plus ou moins idyllique à
celle de la révolution industrielle.» «Il nous semblait
important d'insister sur la pauvreté des Londoniens. La population
de la capitale augmentait très rapidement. À quelques ruelles
des quartiers chics s'étendaient des quartiers pauvres avec leurs
maisons de briques rouges délabrées.» «Nous
nous sommes demandé quelle superficie de Londres nous pourrions
reconstituer. J'ai commencé par faire des maquettes qui se sont
agrandies au fur et à mesure que nous y ajoutions de nouveaux éléments.
Nous nous sommes ensuite occupés de trouver l'endroit où
construire notre immense décor. Notre choix s'est finalement porté
sur les Studios Barrandov à Prague, en République tchèque.
Ils regroupent des plateaux immenses pour les intérieurs, une communauté
d'artisans remarquables et surtout, la plus grande zone de construction
de décors extérieurs d'Europe.» «Reconstituer
les rues de Londres au XIXe siècle a été une formidable
expérience. C'était un décor vaste et riche. Des
rues et ruelles, qui n'étaient pas forcément liées
géographiquement, couvraient une superficie de plus de quatre hectares.
La rue principale que nous avons baptisée King Street est longue
et élégante. Elle présente de très beaux magasins.
J'ai également construit Newgate Prison que je n'ai vue dans aucune
adaptation de «Oliver Twist». C'est un grand bâtiment
situé près de la place du marché. Nous avons créé
une petite rue qui mène à un quartier pauvre avec des bicoques
en briques rouges. Il y a des ponts de part et d'autre car ces maisons
sont situées près de la Tamise, du côté des
entrepôts, dans le quartier des docks. Des entrepôts, il est
possible de descendre jusqu'à la partie la plus basse de la capitale
où Jacob's Island est un des quartiers les plus pauvres.»
«Il a fallu trois mois pour construire ce décor extérieur
et trois semaines pour le patiner. Nous avons embauché deux cents
ouvriers et tous les artisans disponibles. L'atelier de menuiserie du
studio a découpé tous les panneaux et les plâtriers
ont produit toutes les briques. J'ai utilisé onze types de briques
différents pour habiller les maisons. Nous avions pris quelques
moules à Londres et en avons réalisé les copies à
Prague.» Allan Starski et son directeur artistique, Keith Pain,
ont eu la chance de découvrir une carte de 1835 mentionnant tous
les noms des commerces ayant pignon sur rue. Cet élément
crucial a permis de définir avec encore plus de précision
la répartition et la nature des boutiques présentes suivant
les différentes zones de décor. «Nous avons eu la
chance de pouvoir utiliser les enseignes de boutiques qui existent encore
aujourd'hui à Londres. Ces magasins nous ont autorisé à
utiliser leur nom et nous ont prêté des objets d'époque,
comme Paxton and Whitfield, fromagers, James Lock and Co., chapelier,
John Lobb, bottier, Berry Bros. and Rudd, négociants en spiritueux,
Floris, parfumeur, David Salmon et un célèbre marchand de
tabac aujourd'hui disparu, Robert Lewis. Tous bénéficient
de la prestigieuse recommandation de la Maison Royale.» «J'aime
tous ces décors mais le pub «The Three Cripples» est
l'un de mes préférés. Le spectateur ne le verra malheureusement
jamais totalement tant il y a du monde à l'intérieur ! Il
a été construit avec beaucoup de soin. Il constitue, avec
le repaire de Fagin et le logement de Bill et Nancy, une sorte de complément
du décor extérieur.» «London Bridge joue un
rôle essentiel dans le film. C'est là que Nancy avertit Mr.
Brownlow de la menace qui pèse sur Oliver. Une partie du pont a
été reconstituée sur le studio extérieur et
une autre section se trouve à l'intérieur du studio. Dans
la plupart des films, quand une caméra filme à travers une
fenêtre ou l'embrasure d'une porte, on utilise un arrière-plan
photographique. Pour OLIVER TWIST, j'ai décidé de construire
ce qui pouvait être vu. C'est pourquoi j'ai reproduit certaines
maisons du décor extérieur à l'intérieur.»
Le chef décorateur poursuit : «Pour définir la palette
des couleurs, le directeur de la photographie, la chef costumière
et moi avons étudié une foule de documents iconographiques
d'époque. Il est nécessaire que la chef costumière
et moi utilisions des couleurs qui s'accordent. Pawel Edelman s'est occupé
de déterminer la luminosité adéquate en fonction
des couleurs. Conformément à ce que souhaitait Roman, nous
avons ainsi créé l'aspect visuel du film, son atmosphère
générale.» «Par ailleurs, nous avons toujours
privilégié les accessoires les plus authentiques possible.
Roman a le don de les mettre en valeur en les plaçant en situation,
soit à travers les actions des personnages, soit par leur placement
dans l'image. Tout cela apporte de la vérité au film. J'avais
la chance d'avoir une équipe très compétente avec
moi. Ma décoratrice, Jille Azis, a très bien fait son travail.
Nous avons par exemple, dans la demeure de Brownlow, un bureau qui est
une pièce de collection rarissime d'une valeur de plus de 50 000
euros. Le magasin d'accessoires du film était un véritable
musée !» «J'ai tout de suite su que le repaire de Fagin
serait un décor clé. Il ne s'agissait pas seulement d'un
simple appartement. Il fallait que celui-ci reflète la personnalité
de Fagin. Dans le roman, il s'agit d'un grenier. J'ai pensé qu'il
valait mieux montrer cet homme, qui vit comme un rat, dans un manoir abandonné
et complètement en ruine de façon à matérialiser
sa grandeur passée.» «Afin de montrer l'influence de
la révolution industrielle, nous avons décidé que
l'intérieur du foyer ferait penser à une usine. C'est pourquoi
il est plus grand que dans les adaptations précédentes.
Le logement de Bill Sykes est au contraire petit et étroit afin
de mettre l'accent sur le drame qui se joue entre Bill et Nancy. J'essaie
toujours de révéler certains aspects des personnages à
travers mes décors.»
DONNER VIE AUX PERSONNAGES
OLIVER
Roman Polanski explique : «Trouver le bon acteur pour le rôle
d'Oliver était primordial pour la réussite du film. La directrice
de casting, Celestia Fox, avec qui j'ai travaillé pour LE PIANISTE,
a auditionné de nombreux jeunes
acteurs. Elle a éliminé des centaines de candidatures pour
me présenter une liste assez conséquente. Nous sommes passés
petit à petit de vingt à cinq enfants avant d'arrêter
notre choix sur Barney Clark.» Le réalisateur poursuit :
«Je voulais un enfant émouvant au premier coup d'oeil. L'audition
enregistrée de Barney m'a immédiatement paru la plus intéressante,
même si j'ai continué de visionner toutes celles qui me restaient
à voir. J'ai ensuite compris que, dans ces cas-là, le choix
se fait automatiquement même s'il est inconscient. Il me fallait
un garçon qui soit mignon sans trop l'être, intelligent et
un peu mélancolique : Barney possède toutes ces qualités-là.»
Ronald Harwood raconte : «Barney Clark nous a immédiatement
impressionnés. J'ai participé aux premières séances
d'essais réalisées pour le casting et il a tout de suite
été remarquable. Il a un visage très expressif, il
est vif d'esprit et peut jouer n'importe quelle scène à
partir du moment où on lui explique clairement ce qu'on attend
de lui. J'étais certain qu'il allait très bien fonctionner
avec Roman.» Le scénariste ajoute : «Dans le roman,
Oliver s'exprime toujours convenablement, ce qui ne m'a pas paru vraiment
réaliste étant donné son parcours. Nous avons donc
décidé de durcir un peu ses manières et son langage.»
Barney Clark, âgé de onze ans, est originaire de Hackney,
au nord de Londres. Le jeune acteur raconte : «Tout a commencé
par une audition dans un grand entrepôt de Londres où d'autres
garçons postulaient également pour le rôle de Dodger
et d'Oliver. On nous a fait lire quelques
lignes du scénario, puis on m'a demandé de continuer un
peu. Quelques jours plus tard, les directeurs du casting m'ont contacté
pour l'audition d'une autre partie du scénario. Cette fois, il
n'y avait aucun autre candidat avec moi. On m'a ensuite fait partir à
Prague pour tourner des séances d'essai. C'est là que j'ai
rencontré Roman.» «Nous étions quatre garçons
: Harry Eden qui interprète Dodger, Lewis Chase qui joue Charley
Bates, un autre garçon et moi pour le rôle d'Oliver. Roman
nous a fait asseoir sur un canapé dans sa chambre d'hôtel
et nous avons discuté. Nous avons abordé toutes sortes de
sujets, sans aucun rapport avec les personnages. J'ai su seulement après
que j'avais obtenu le rôle.» Le jeune comédien poursuit
: «Roman m'a expliqué que l'histoire ne devait pas être
vécue de façon tragique. Oliver est courageux, plein d'allant.
Il ne se considère pas comme une victime, il cherche juste à
surmonter tout ce qui lui arrive. Roman m'a beaucoup aidé pendant
le tournage. Il me montrait ce qu'il voulait, il me guidait. Il a été
là chaque fois que j'avais une question. Souvent, il devinait mes
doutes avant même que j'en parle ! Il sait ce qu'il veut. Il n'hésite
pas. Il est sécurisant, encourageant. J'ai compris qu'avant même
de tourner, la scène existe déjà dans sa tête,
il en a déjà imaginé le mouvement et le montage.»
«Harry, Lewis et moi sommes devenus de très bons amis dès
notre première rencontre à Prague. Nous avons suivi des
cours de vol à la tire avec un grand magicien qui nous a également
enseigné quelques tours de magie.» «Parler avec l'accent
de Birmingham, qui est celui d'Oliver, était un vrai défi.
On m'a appris à bien positionner ma langue, puis tout est venu
naturellement. Je n'avais même pas à penser à ce que
j'allais dire, cela sortait tout seul.» «Mes deux scènes
préférées sont la bagarre avec Noah Claypole, faite
sans doublure - j'ai dû poser le pied sur une chaise et sauter par-dessus
la table pour lui mettre mon poing dans la figure - et la scène
sur les toits avec Bill Sykes. C'était vraiment très amusant.
Nous portions des harnais que les ordinateurs effacent lors du montage.»
FAGIN
Roman Polanski se souvient : «Pour le choix de Fagin, je me suis
d'abord demandé quel acteur lui correspondait le mieux physiquement.
J'ai tout de suite pensé à Ben Kingsley, dont le talent
à se transformer physiquement jusque dans les attitudes est incroyable.
Une des scènes qui m'a permis de l'imaginer n'est pas dans notre
scénario mais elle est très importante dans le roman : Fagin
ne cesse de répéter devant le juge : «Un vieillard,
Votre Honneur, je suis un vieillard.» Relire cette scène
m'a donné une vision plus nette du personnage que et c'est cette
vision que le film cherche à retranscrire.» Ben Kingsley,
interprète de Fagin, explique : «Roman et moi nous connaissons
bien. J'avais tourné sous sa direction il y a dix ans pour LA JEUNE
FILLE ET LA MORT. Une grande expérience !» L'acteur poursuit
: «Pour adapter «Oliver Twist» il fallait l'équivalent
cinématographique d'un Charles Dickens. On ne peut pas demander
à un réalisateur sans imagination de mettre en scène
l'oeuvre d'un génie avec lequel il n'aurait pas pu tenir cinq minutes
de conversation ! Transcrire Dickens nécessite d'avoir la même
force intellectuelle, la même assurance, la même résistance
et la même curiosité. Je suis certain que Roman et Dickens
aurait parlé des nuits entières s'ils s'étaient connus.»
«Avec OLIVER TWIST, Roman nous offre non seulement une fascinante
aventure humaine mais aussi une profonde réflexion sur ce que pouvait
être la vie à cette époque-là. Notre présent
y trouve un passionnant miroir. Au XIXe siècle, les petits Londoniens
démunis buvaient et se prostituaient. On comptait près de
80 000 prostituées à Londres, qui était alors beaucoup
plus petit qu'aujourd'hui. Les maisons closes occupaient des rues entières.
La maltraitance, les meurtres et les abus sur mineurs étaient probablement
équivalents à ce qu'on peut voir dans les pires quartiers
de certaines mégapoles en voie de développement. L'espérance
de vie était sans doute aussi faible. Cette histoire a de nombreux
parallèles contemporains.» «Grâce à son
sens de l'ironie, son intelligence et sa compréhension des hommes
et de leurs tempéraments, Roman parvient à restituer les
personnages du roman sans les réduire à des caricatures.
Ils ont tous une personnalité très marquée, des traits
distinctifs. Cela vient aussi du fait que l'histoire est racontée
à travers les yeux d'un enfant. Dickens a su décrire certains
vices en utilisant le point de vue d'un enfant à la fois curieux
et déconcerté par la réalité qu'il découvre.»
L'acteur ajoute : «Mon personnage, Fagin, n'est ni tout noir, ni
tout blanc. Roman a compris l'essence et le paradoxe du personnage : sans
ce pèreexploiteur, ces enfants seraient morts de faim. Le spectateur
arrivera peut-être lui aussi à cette conclusion troublante.»
«Je me suis immergé dans mon personnage en suivant mon intuition
plutôt que mes connaissances théoriques. C'est Roman qui
s'occupait d'introduire Fagin au lieu et moment adéquats afin de
privilégier le regard que portait Oliver sur cet homme.»
«Pour préparer le rôle, je me suis plongé dans
le roman, mais je m'en suis finalement peu inspiré. J'ai lu le
scénario de Ronnie Harwood plusieurs fois et avec beaucoup de plaisir.
À chaque lecture, j'en découvrais de nouveaux aspects. L'époque
victorienne me fascine. C'est la deuxième fois que je joue dans
l'adaptation d'une oeuvre de Dickens, la première étant
«Nicholas Nickleby» pour la Royal Shakespeare Company. Je
m'étais alors avidement documenté sur cette période.
J'ai aussi fait quinze ans de théâtre classique. Je me suis
en quelque sorte préparé pour ce rôle depuis vingt
ans.» Barney Clark commente : «Ben Kingsley était impressionnant.
Il arrivait toujours avec le costume, la démarche et la voix de
son personnage, si bien que je ne l'ai pas reconnu la première
fois. Même le deuxième jour, j'avais encore du mal à
croire que c'était lui avec ses sales dents, ses gencives et sa
barbe. Tout avait l'air tellement vrai !». Ben Kingsley reprend
: «Lorsque nous avons mis au point l'apparence de mon personnage,
je me suis souvenu du propriétaire d'une boutique de bric-à-brac
à Manchester. Je devais avoir l'âge d'Oliver lorsque je l'ai
découvert. Son manteau fermé par un lacet m'intriguait beaucoup.
J'ai souhaité le même pour Fagin. Le personnage s'est construit
ainsi. C'est une mosaïque d'éléments et d'impressions
glanées çà et là. En prenant du recul, il
apparaît comme un ensemble composite constitué des différents
détails que remarque Oliver au fil de l'histoire. Il se définit
à travers le regard d'Oliver.»
BILL SYKES
C'est Jamie Foreman que Roman Polanski a choisi pour incarner Bill Sykes.
L'acteur explique : «Bill est un catalyseur. Il se distingue par
sa force et son instinct de survie. À bien des égards, il
me fait penser à un requin, ce que j'ai essayé de traduire
par un regard vide et inexpressif, au risque de paraître étrange
puisque le regard sert d'ordinaire à communiquer des émotions
! Bill n'agit que par instinct. Il n'a compris qu'une seule règle
dans le monde : tue ou sois tué. Bill est prêt à toutes
les audaces et ne craint ni l'exil, ni la pendaison.» «Quand
j'ai commencé à étudier le rôle, il m'était
difficile de lui donner une dimension humaine, de dévoiler une
facette de sa personnalité qui le rende attachant. Pour être
convaincant, un acteur a besoin de se sentir proche de son personnage,
aussi monstrueux soit-il. Bill ne se réduit pourtant pas à
une bête agressive. C'est aussi un homme qui rêve de se sentir
en sécurité.» «Les femmes sont particulièrement
sensibles à sa personnalité, peut-être parce qu'il
en découle indirectement un sentiment de sécurité.
Bill protège les femmes qui l'entourent.»
NANCY
Ronald Harwood explique : «Parmi les quelques personnages féminins
d'OLIVER TWIST, Nancy est de loin la plus fascinante. Elle a entre dix-neuf
et vingt et un ans. Dickens ne nous donne pas son âge exact. Nous
ne voulions pas qu'elle soit vulgaire, mais il fallait qu'elle soit sexy
comme l'est son interprète, Leanne Rowe. Nancy a beaucoup de charme
et elle s'en sert pour survivre dans son milieu.» Là encore,
Roman Polanski a déniché une actrice britannique encore
peu connue pour l'interpréter. Leanne Rowe se souvient : «Roman
avait une vision très précise du personnage de Nancy. On
a fait plusieurs essais de maquillage avec de la poudre blanche mais cela
ne lui convenait pas. Il disait que j'avais l'air d'une poupée
alors que Nancy devait avoir une apparence plus naturellement négligée.
Une fois trouvé le maquillage idéal, on a pu commencer.»
«J'ai eu mon premier costume à Londres, avant même
d'avoir le rôle. J'ai essayé une robe de couleur verte et
Anna Sheppard, la chef costumière, était très heureuse
de voir qu'elle allait à quelqu'un parce que c'était un
vêtement d'époque, vieux de plus de cent quatre-vingts ans
et qui faisait partie d'une collection qu'elle avait achetée.»
«Prendre l'accent de Nancy a été très amusant.
J'ai dû m'écarter complètement de ma manière
naturelle de parler, surtout pour la prononciation des t qu'on
devait à peine entendre. Un répétiteur de dialogues
s'assurait que je restais compréhensible. Cela devait ressembler
à l'accent londonien sans être du Cockney.»
ARTFUL DODGER
Harry Eden, quatorze ans, n'en est plus à ses débuts. Il
y a trois ans, avec son premier film, PURE, il a reçu la mention
spéciale du Prix Manfred Salzgeber au Festival de Berlin et été
nommé meilleur jeune espoir aux British Independent Film Awards.
L'envie de devenir acteur lui est venue en regardant la comédie
musicale «Oliver !». Le jeune garçon avait été
émerveillé par les vilains tours de Dodger, alors incarné
par Jack Wild. Il n'imaginait p as que, des années plus tard, il
aurait l'occasion d'interpréter à son tour ce personnage.
Il confie : «Roman m'a expliqué que Dodger est rusé
et très habile de ses mains. Pour acquérir la même
dextérité, je me suis entraîné au vol à
la tire pendant environ un mois avant le début du tournage avec
un magicien. Un autre prestidigitateur est venu à Prague continuer
notre formation. Ces leçons étaient passionnantes. Roman
voulait que les scènes de pickpocket ressemblent à une sorte
de chorégraphie tellement les enfants voleurs étaient des
virtuoses.»
CHARLEY BATES
Lewis Chase, treize ans, fait ses débuts sur grand écran
dans le rôle de Charley Bates. «Dans une bande, note-t-il,
il y en a toujours un qui met l'ambiance. C'était mon rôle
et je l'ai beaucoup aimé. J'avais lu le roman, je connaissais donc
déjà bien l'histoire.» «Roman Polanski attendait
de ses acteurs beaucoup d'ardeur et d'énergie. Je devais toujours
être en train de rire et plaisanter et Dodger devait toujours avoir
l'air sérieux. Il m'arrivait de penser que Roman faisait partie
des personnages. Il est lui-même un très bon acteur et il
sait très bien montrer ce qu'il veut.»
MR. BROWNLOW
Ronald Harwood explique : «Nous avons légèrement modifié
le personnage de Mr. Brownlow. Dans notre adaptation, c'est parce qu'il
est charmé par la personnalité d'Oliver qu'il le prend en
affection. Cela me semblait plus cohérent. Une des qualités
premières des héros de Dickens est leur bonté naturelle.
Pour l'écrivain, ils sont naturellement innocents. C'est la société
qui les corrompt.» Edward Hardwicke, qui incarne le gentil Mr. Brownlow,
raconte : «J'ai relu le roman avant d'attaquer le tournage. Dickens
vous fait passer du rire aux larmes. Ses descriptions sont extrêmement
vivantes et précises. Cette histoire n'a pas vieilli, les thèmes
de l'innocence et de la survie, par exemple, restent très contemporains.
Les parallèles qu'on ne peut s'empêcher de faire avec le
monde d'aujourd'hui viennent naturellement et je pense qu'ils sont une
des forces du film.»
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