De Barnie et ses petites Contrariétés
à Hell
Cinq ans après le succès de son premier long métrage
Barnie et ses petites Contrariétés (2000), Bruno Chiche
change de registre en adaptant le sulfureux roman de Lolita Pille, Hell
(2005) paru en 2002 chez Grasset. Plus qu'une nouvelle expérience
sur grand écran, ce sont ses premiers rêves de cinéaste
qu'il concrétise à travers ce projet : «Ce livre était
un beau sujet de cinéma car Hell est un personnage complexe qui
vit le cap difficile du passage de l'adolescence à l'âge
adulte. »
L'adaptation cinématographique d'un roman
générationnel
Dès le départ, Bruno Chiche souhaitait associer Lolita
Pille, la jeune et talentueuse romancière, à l'aventure
cinématographique. La spécificité du roman, dont
le fil conducteur de la narration consiste en une introspection à
l'intérieur du personnage principal, les a obligé à
repartir de zéro, tout en restant fidèles à l'oeuvre
originelle. « Retranscrire les sentiments de cette fille sans voix
off, sans la faire parler, à travers des actions et des épreuves,
était la première difficulté », commente Bruno
Chiche. « Puis pour permettre au personnage de s'exprimer en évoluant
librement, nous avons inventé de nouvelles situations et multiplié
les lieux pour aérer la narration. Enfin, nous avons surtout réécrit
toute une partie de l'histoire presque inexistante dans le livre : la
passion entre Hell et Andrea. »
«Je voulais que cette histoire d'amour soit le déclencheur
des bouleversements auxquels sont sujets les héros. Leur relation
est devenue l'axe central, l'action principale autour de laquelle s'organise
l'évolution de ces deux adolescents qui vivent une sorte de parcours
initiatique de l'enfance à l'âge adulte. Ce chemin est traversé
d'épreuves qui se traduisent par des tentations, des moments difficiles
et des choix, difficultés renforcées par le fait qu'ils
évoluent dans un milieu très influençable »,
ajoute Bruno Chiche, « où le "paraître" est
maître et juge. »
Le couple Sara Forestier - Nicolas Duvauchelle
Quand Bruno Chiche rencontre Sara Forestier, L'Esquive venait de
sortir et la jeune comédienne n'avait pas encore reçu le
César du meilleur espoir féminin pour cette performance.
« Son rôle dans L'Esquive était aux antipodes du personnage
de Hell» , analyse Bruno Chiche. «J'ai toujours aimé
l'idée de faire voyager les acteurs là où on ne les
attend pas, les emmener dans un univers différent de ce qu'ils
ont l'habitude de faire. J'ai tout de suite su qu'il y avait en elle toute
l'énergie et l'intuition que ce rôle réclamait d'une
actrice ». « C'est la rage de vivre de Sara », ajoute-t-il,
« que l'on retrouve dans le personnage de Hell, qui m'a définitivement
convaincu. » Bruno Chiche avait par ailleurs découvert Nicolas
Duvauchelle dans le film de Xavier Giannolli, Les Corps Impatients, et
dans celui de Jean-Pierre Améris, Poids Léger, deux films
très différents dans lesquels le jeune acteur jouait des
rôles très éloignés du personnage d'Andrea.
« C'est sa sensibilité extrême qui m'a touché.
Nicolas peut être tour à tour violent et fragile. Lorsque
quelque chose l'émeut, il pleure. Et puis c'est un acteur brut
qui ne comprend pas seulement comment jouer les situations mais comment
habiter le coeur du personnage. L'empathie qu'il éprouve pour les
êtres humains est impressionnante, d'autant plus que l'homme est
d'une pudeur extrême. » Le duo Duvauchelle-Forestier s'est
parfaitement accordé comme en témoigne Bruno Chiche : «Quand
je les ai vus ensemble, j'ai tout de suite su que ça collait. La
force intérieure dégagée par Nicolas était
le parfait pendant à l'intensité de Sara. »
La préparation du tournage
Bruno Chiche souhaitait que ses comédiens s'engagent dans
un véritable travail de composition en s'imprégnant avant
le tournage de cet univers parisien fermé et élitiste.
Pour conserver cette authenticité, le film se tournera d'ailleurs
dans 42 décors réels pour la plupart situés entre
l'avenue Montaigne et l'avenue George V mêlant palace (Plaza Athénée),
discothèques (VIP Room, Régine, Milliardaire...) ou restaurants
branchés Menama Café, Lapérouse). Un mois avant le
tournage, le réalisateur s'est donc consacré aux répétitions
avec Sara Forestier, Nicolas Duvauchelle et les autres acteurs principaux.
« À la fin de cette semaine de répétitions,
je leur ai demandé de tout oublier car je ne voulais pas qu'ils
arrivent sur le plateau un mois plus tard avec trop de certitudes mais
qu'ils réinventent le texte en retrouvant de nouvelles émotions.
C'est pour cette raison », raconte le réalisateur, «
que j'ai volontairement souhaité un délai entre la fin des
répétitions et le début du tournage. »
Un premier roman culte pour toute une génération
Lolita Pille a 18 ans quand elle écrit Hell (2005) son premier
roman, cinglant et volontairement provocateur. Une génération
d'adolescents s'en empare et en fait rapidement l'un de ses romans culte
: l'héroïne provocatrice et l'auteur ont leur âge. Mais
la presse associe aussi volontiers la rage et le cynisme de la jeune Lolita
Pille à la plume acérée du romancier américain
Bret Easton Ellis.
Hell, origine du personnage
Le personnage d'Ella est une personnalité à part,
au sein d'une jeunesse doré et décadente, où paraître
est plus important qu'être. « Sa décision de se faire
appeler Hell montre son besoin de crier son malaise, de dénoncer
son enfer», traduit Lolita Pille. « Je ne savais pas comment
appeler ce personnage qui n'avait pas de nom dans la première version
du roman. Puis j'ai lu Bleu du ciel, un livre de George Bataille. Dans
ce roman inachevé, l'un des personnages s'appelle " Dirty
", et c'est la contraction de " Dorothy ". J'ai adoré
cette idée de contraction masochiste d'un prénom. La fille
y était si "trash" qu'à côté, Hell
ressemblait à "Laura Ingals" ! Pour mon personnage, j'avais
donc envie que cette fille porte vraiment son mal-être en banderole,
et que dans cette logique elle se soit auto-prénommée "Enfer".
»
Sara Forestier, jeune espoir du cinéma français
Depuis son César du meilleur espoir féminin pour
sa performance dans L'Esquive, Sara Forestier, 19 ans, multiplie les expériences
au cinéma sous la direction de prestigieux réalisateurs.
Au printemps, elle partageait l'affiche d'Un Fil à la patte de
Michel Deville avec Emmanuelle Béart et Charles Berling, avant
d'apparaître cet été dans un film de Claude Lelouch,
puis à l'automne dans le dernier film de Bertrand Blier où
elle incarnait une jeune prostituée.
Nouveau rôle, nouvelle préparation
Enthousiasmée par le projet, Sara Forestier raconte : «
Ce fut une évidence. J'ai tout de suite été bouleversée
par cette histoire et par la vision poignante qu'en avait Bruno Chiche.
Le personnage de Hell m'a percuté, au fur et à mesure que
je lisais le scénario, c'était un peu comme si je la prenais
dans mes bras. Ce petit bout de femme me touche beaucoup et je l'ai tout
de suite aimé. »
«J'ai instantanément appréhendé Hell comme
une adulte, en raison de son extrême lucidité, mais également
comme une adulte non accomplie et non épanouie. Hell a tout ce
dont elle a besoin, niais n'a pas encore trouvé sa voie, ni sa
raison de vivre. C'est une jeune femme perdue qui erre dans un milieu
froid et excessif jusqu'au jour où elle rencontre Andréa.
»
Pour préparer son rôle, Sara Forestier a fait un travail
d'immersion au sein des nuits parisiennes branchées : «J'ai
voulu saisir les codes du milieu social dans lequel évoluait Hell.
Je suis sortie et j'ai observé les gens : leurs habitudes, leurs
manies, leur manière de se tenir, de bouger, de parler. Je voulais
m'imprégner de ces détails, de ces petites choses qui forment
la complexité des êtres humains, pour tendre vers une sincérité.
Quand je joue, j'essaye d'incarner une personne et pas seulement un personnage.
»
Nicolas Duvauchelle
Nommé au César du meilleur espoir masculin en 2004 pour
sa performance aux côtés de Laura Smet dans Les Corps Impatients,
de Xavier Giannoli, Nicolas Duvauchelle enchaîne les rôles
dramatiques et les emplois plus physiques au cinéma. Le personnage
d'Andrea dans Hell (2005) lui permet d'explorer une nouvelle facette de
son talent.
Andrea, un personnage développé pour les besoins du film
Le personnage d'Andrea était assez fantomatique dans le livre.
Bruno Chiche et Lolita Pille l'ont étoffé en essayant de
lui donner la même intensité que celui de Hell (2005) «
Andrea est le double masculin de Hel] », explique Nicolas Duvauchelle,
« mais ne porte pas le même regard cynique sur le monde qui
l'entoure. Plus âgé de quelques années, il devient
un peu son ange gardien ». Nicolas Duvauchelle précise :
« C'est l'amour d'Andrea qui va permettre à Hel' de sortir
de sa prison dorée, et de cesser d'être une adolescente rebelle
pour devenir une femme. »
En incarnant Andrea, Nicolas Duvauchelle explore un nouveau registre.
«J'ai travaillé ma prestance, se rappelle l'acteur, mais
aussi la prononciation, pour être plus en accord avec le milieu
social dont est issu mon personnage ». Comme sa partenaire dans
le film, Nicolas Duvauchelle a aussi exploré les milieux branchés
de la capitale. Il ajoute : «. Pour nourrir mon personnage, il me
fallait être attentif et observer la façon dont les gens
se tiennent dans ce milieu, tout comme leur manière de parler.
»
Yannick Bolloré et Wassim Béji, les
producteurs
Yannick Bolloré et Wassim Béji, amis de longue date, ont
créé leur société de production autour du
roman de Lolita Pille. C'est en effet après avoir lu Hell (2005)
ouvrage qui avait déjà rencontré un large public
auprès d'une majorité d'adolescents, qu'ils ont décidé
de franchir le pas décisif d'acheter les droits d'adaptation cinématographique.
Le principal enjeu de l'adaptation était avant tout celui du choix
du futur metteur en scène du film, c'est la raison pour laquelle
la rencontre avec Bruno Chiche a été si déterminante.
«L'écueil de cette adaptation, selon nous », explique
Wassim Béji, « aurait été de faire un film
"branché", un long clip esthétique et spectaculaire
dénué d'émotion ».
«C'est alors que, par l'intermédiaire de Dominique Besnéhard,
nous avons appris que Bruno Chiche cherchait un sujet sur l'adolescence
et qu'il avait lu et apprécié le livre. Bien que son premier
film était une comédie, il avait réalisé un
court métrage avec lequel il avait été sélectionné
au festival de Cannes et dont le ton, l'écriture et la mise en
scène nous avaient beaucoup plu », raconte Yannick Bolloré.
Il ajoute : « nous connaissions le travail de Bruno et savions qu'il
pouvait faire un filin brut, simple, centré sur l'histoire d'amour
entre Hell et Andréa, sur le coeur des personnages plutôt
que sur leurs fringues. L'idée qu'il avait des acteurs susceptibles
d'incarner ces deux personnages, le parti pris à la fois formel
et narratif nous a, par ailleurs, convaincu ».
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