Frédéric
Bourboulon, producteur d'Edy
Marion Cotillard mappelle un samedi matin :
- «Dis-moi, jai un ami qui a écrit un scénario,
que je trouve très bon ; est-ce que je peux lui dire de te lenvoyer
?»
Trois semaines plus tard, Stephan Guérin-Tillié entre
dans mon bureau. À la manière dont il me parle de ce scénario
que javais aimé, je sais quon va faire la route ensemble.
Deux ans après, je découvre le premier montage d
Edy (2004) Cest bien le même film que Stephan mavait
raconté ce jour-là. Un film brillant, un film de metteur
en scène, qui vient tout naturellement prendre sa place à
Little Bear aux côtés de Tavernier, Nicloux et Jolivet,
dans notre quête de cette fameuse «troisième voie»,
entre cinéma de «prime time» et une prétendue
«nouvelle idée du cinéma français».
Comme sil se réclamait à la fois de Jacques Becker
et de Paul Thomas Anderson, Stephan, tout cinéaste débutant
quil est, filme avec un plaisir gourmand, libéré
de toute contrainte grammaticale, la confrontation attendue entre un
Berléand toujours imprévisible (sous ses vrais airs de
«samouraï») et un Noiret qui se délecte dun
dialogue de fin gourmet («... quand on aura mis ton dormeur dans
son plumier...»).
- «Allô, Philippe, jaimerais bien que vous lisiez
le scénario dun jeune auteur... mais je tiens à
vous avouer tout de suite quil avait choisi un autre acteur, qui
vient de se récuser...»
- «Vous savez, me répond-il, les gens se souviennent des
acteurs qui sont dans les films, pas de ceux qui les ont refusé
!»
Nous sommes alors au début de juillet 2004, un lundi soir vers
17 heures. Jai dû suspendre la préparation du film
depuis une semaine. Lavenir d Edy (2004) est plus quincertain...
Philippe me rappelle le lendemain à 9 heures 30 :
- «Dites-moi, cest bon cette histoire là !...»
À 15 heures le même jour, jattends Stephan devant
limmeuble de Noiret. Stupéfait, je le vois arriver le crâne
rasé, ce qui lui donne lair du skinhead, qui tabasse Berléand
dans son film. Il mexplique quil a fait cela pour conjurer
le sort : sil se rasait la tête, il ne pouvait pas être
engagé comme comédien, donc son film devait se faire.
Pendant toute la discussion avec Philippe il gardera, vissé sur
la tête, une vilaine casquette, avant que je finisse par relater
lanecdote à celui qui est déjà notre Louis.
Noiret, à qui on ne la fait plus, a senti dès cette première
rencontre à qui il avait à faire. Quatre mois plus tard,
dans la voiture qui nous ramènera à Paris après
la dernière nuit de tournage, il me confiera : «On a eu
du pif, non ?...»
Entretien avec Stephan Guérin-Tillié,
réalisateur d'Edy
Quest-ce qui vous a poussé vous,
comédien, à passer un jour derrière la caméra
?
Lenvie décrire et de raconter mes propres histoires.
A force dêtre au service de metteurs en scène le
besoin de créer mon univers sest affirmé. Je ne
voulais plus me contenter dêtre lobjet du désir
mais dêtre le moteur même du désir.
Et puis dix ans dexpérience comme acteur sur un plateau
vous apprennent beaucoup. On est aux premières loges pour observer
le processus de création dun film.
Jai limpression que cette évolution est normale,
naturelle : dabord deux court-métrages, Jai fait
des sandwiches pour la route et Requiem(s) et enfin Edy (2004).
Comment est née lidée d
Edy (2004) ?
Le point de départ, cest le personnage et le genre.
Jaimais lidée dun personnage qui veut mettre
fin à ses jours, se rate et qui finalement se retrouve entraîné
malgré lui dans une succession de problèmes et déchecs,
(à limage de ces installations de dominos qui nen
finissent pas de tomber), pour finalement basculer dans le polar empreint
dhumour noir.
Lambition dunir le genre du film noir à celui de
la dérision. De tenter détablir une séparation
imperceptible entre le divertissement et le drame.
Cela correspond à un genre de cinéma qui me touche.
Javais envie de parvenir à cet équilibre-là
en portant aussi un soin particulier aux dialogues.
Lécriture du film en elle-même a été
relativement rapide car je me sentais en accord avec cette histoire
et ces personnages.
En parlant dacteur, vous avez écrit
Edy (2004) pour François Berléand ?
Oui. Je lavais déjà dirigé dans un court,
Requiem(s) et nous avions été partenaires dans HS Hors
Service (2001) de Jean-Paul Lilienfeld. Cette rencontre a été
déterminante dans mon parcours, humainement et artistiquement.
Et sil navait pas accepté le rôle, je ne sais
pas si jaurais fait ce film !
François a 50 ans et voit seulement aujourdhui arriver
vers lui des rôles majeurs, alors quil travaille depuis
des années. Il na donc pas, loin de là, fait le
tour de tout ce quil est capable dexprimer. Et cest
exactement ces zones dombre que javais envie de mettre en
lumière.
Cest vrai quen écrivant Edy (2004), jaimais
lidée de lui proposer ce personnage mutique alors que jusque-là
on la plutôt vu jouer des volubiles. Or, pour moi, François
possède une qualité rare chez les acteurs, il sait écouter.
Il mimpressionne quand, dans ces moments-là, ses sentiments
se traduisent juste par dinfimes expressions sur son visage. Javais
envie de lire ça sur le visage d Edy (2004).
Vous avez aussi écrit ce film avec Marion
Cotillard en tête. Pour quelle raison ?
Marion cest lactrice de ma vie... Et pour moi, la plus singulière
des actrices de sa génération. Elle est rare comme Romy
Schneider pouvait lêtre. Elles ont en commun cette même
faille, ces moments dabandon total. On ne peut être quamoureux
delle tout comme de Romy Schneider.
Je nimaginais personne dautre dans ce rôle. Ses deux
scènes sont courtes mais compliquées puisque, au final,
elle incarne une sorte dicône, lidéal féminin
en quelque sorte.
Elle doit sinscrire tour à tour dans le rêve et dans
la réalité, sans pour autant perdre un aspect fantasmatique.
Marion a ces deux dimensions-là à la fois dans son jeu
et dans sa présence. Elle peut être dune beauté
foudroyante, très femme fatale, puis redevenir totalement naturelle
sans artifice tout en conservant sa magie. La scène entre François
et elle a justement donné lieu à un instant de grâce
sur le plateau. Comme un coup de foudre entre deux personnes.
Vous navez pas eu envie de jouer vous-même
dans votre film ?
Je ne lai jamais envisagé, dune part parce que je
navais pas écrit le scénario dans ce but et dautre
part parce que javais envie de mimpliquer totalement dans
mon travail de metteur en scène.
Comment avez-vous travaillé laspect
visuel du film ?
Il était extrêmement important puisque à mes yeux
lesthétisme du film sert lhistoire. Je voulais des
cadres très rigoureux, très graphiques pour les mettre
en opposition avec le désordre du personnage et les multiples
rebondissements de lhistoire.
Jai donc collaboré très en amont avec un directeur
artistique, Fred Remuzat, qui a également story-boardé
le film.
Pourquoi avoir fait appel à Fred Remuzat
?
Je lai rencontré sur mon premier court, Jai fait
des sandwichs pour la route . Et comme, pour ce film, jétais
devant et derrière la caméra, je souhaitais un story-board
pour être totalement à laise. Cette rencontre a été
capitale car Fred a non seulement un talent énorme mais cest
aussi devenu un ami.
Dans le cinéma français, les gens sont souvent un peu
dubitatifs quant à lutilité dun story-board.
Jai eu la chance de rencontrer le chef déco de Tim Burton
et des frères Coen qui ma confié quils nenvisageraient
pas de travailler sans cet outil. Si eux le font, ça ne peut
pas être mauvais pour nous, non ?
Javais des idées assez précises sur les partis pris
du film mais pour pouvoir maîtriser à la fois lesthétisme
et toutes les questions techniques je souhaitais faire un long travail
préparatoire en amont du tournage. La collaboration avec Fred
a donc été lune des étapes importantes dans
la conception du film.
Nous nous sommes enfermés deux mois entiers pour réfléchir
ensemble aux décors, aux cadres, aux axes mais aussi à
la déco, aux costumes et jusquà la lumière.
Fred a dessiné des centaines de croquis et a apporté une
véritable direction artistique au film. Une fois le tournage
en cours, il faut évidemment savoir laisser place à limprovisation
et à linspiration. Cest un autre travail qui commence
avec le chef opérateur et léquipe.
Expliquez-nous votre collaboration avec Christophe
Offenstein.
Nous nous connaissons depuis 10 ans. Quand je lai rencontré,
il était chef électricien et moi, jeune acteur. Je lai
vu évoluer dans son métier et lui dans le mien. Tout comme
Fred Remuzat, il a participé à mes courts.
Christophe a été impliqué dès lécriture
du film : il a été un des premiers lecteurs du scénario.
Jai besoin davoir ce rapport fort avec mes collaborateurs,
un rapport quasi familial. Une famille qui se crée autour daffinités
artistiques, de points de vue identiques sur lenvie de faire du
cinéma et la manière de le concevoir. Jaime la personnalité
et la sensibilité qui se dégage du travail de Christophe
tout comme le regard généreux et concerné quil
sait porter sur le jeu des acteurs.
Un an avant le début du tournage nous avons visionné ensemble
beaucoup de films... Les films de Melville, des frères Coen,
de Jacques Audiard, de David Lynch, de Takeshi Kitano, de Paul Thomas
Anderson... Nous en avions besoin lun et lautre pour débattre
de tel ou tel point de vue et affirmer les partis pris quon allait
imposer sur le film. On ne peut éviter les références
que si on les connaît.
Et quand les références sont nécessaires, cest
à condition davoir sa propre identité.
Christophe Offenstein, Fred Remuzat tout comme Stan Collet (le monteur
du film) mont accompagné avec tout leur talent pour affirmer
lidentité du film. Ils sont allés au-delà
de mes espérances.
Justement, pouvez-vous nous parler de votre travail
avec Stan Collet ?
Lorsque jai rencontré Stan, jai intuitivement su
que cétait lui qui allait monter mon film. Stan était
jusquà présent assistant monteur de Noëlle
Boisson (entre autres) et Edy (2004) est donc son premier film comme
chef monteur.
Lors de ce premier rendez-vous jai tout de suite été
séduit par sa personnalité et nos six mois de collaboration
pendant la post-production du film nont jamais démenti
ce sentiment. Stan est totalement passionné par son métier
et a une incroyable connaissance du cinéma.
Le montage est évidemment la troisième écriture
dun film et cest à ce moment-là que celui-ci
trouve enfin son rythme, atteint sa maturité. Cest donc
un long travail de réflexion, dessais et de remise en question
que lon partage ensemble.
Je ne pouvais rêver meilleur «co-auteur» que Stan
et nous avons même été plusieurs fois étonné
de la symbiose entre nous dans la salle de montage.
Il naura cessé tout au long de ces six mois dêtre
au service du film, il ma accompagné jusqu au bout
de la post production avec un professionnalisme et une foi inébranlables.
Cest Frédéric Bourboulon
qui produit le film pour Little Bear. Pourquoi êtes-vous allé
vers lui ?
Little Bear est une production indépendante qui travaille avec
des réalisateurs comme Tavernier, Nicloux, ou Jolivet qui sont
aussi des auteurs. Leur ligne éditoriale correspond à
une idée du cinéma que jaime : du cinéma
intelligent et ambitieux qui nexclut ni la drôlerie, ni
le spectateur.
Cest grâce à Marion Cotillard que jai rencontré
Frédéric Bourboulon. Une fois mon scénario terminé,
je lui ai envoyé. Marion, qui avait accepté le rôle
et travaillé avec lui sur Une Affaire privée (2001) a
rajouté un petit mot disant quelle serait heureuse que
Frédéric le lise. Et, trois semaines plus tard, Frédéric
ma appelé. Nous nous sommes rencontrés le jour même
et avons passé quatre heures ensemble. Et il a terminé
ce premier contact par cette phrase merveilleuse : «Jadore
le scénario. Mais le cinéma, cest aussi une histoire
damitié.»
Deux semaines plus tard, il ma rappelé pour me dire quil
acceptait de produire mon film.
Frédéric Bourboulon est un cinéphile, un producteur
totalement passionné par ce métier. Il a été
un lecteur formidable, mettant le doigt sur des contradictions infimes
mais qui ont apporté des bouleversements nécessaires.
Il ma laissé une liberté totale tout en mépaulant
dans le choix de mes techniciens et de mes acteurs. Il a accompagné
mes angoisses dans les diverses étapes de financement et de fabrication
du film. Je me sens une filiation par rapport à sa démarche.
Je suis très fier quil ait produit Edy (2004) et de faire
un peu partie de sa famille !
Aux côtés de François Berléand,
on retrouve Philippe Noiret. Pourquoi avoir pensé à lui
?
Au départ, ce nétait pas Philippe qui était
pressenti mais un autre acteur, qui, pour diverses raisons, na
pas pu le faire. Et je dois dire que jen suis ravi.
Il y a cette phrase de Jean-Paul Rappeneau que Frédéric
ma apprise: «Les films sont plus forts que nous. Et quand
tel acteur doit renoncer, ce nest pas grave. Cest celui
qui devait le jouer qui au final tient le rôle.» Jai
pu le vérifier grâce à Philippe. Il est arrivé
sur Edy (2004) un mois et demi avant le tournage et ce fut ensuite un
bonheur de tous les instants. Jaime lidée de transmission,
de «passage de relais»... Jai ressenti cela dans mes
rapports avec Philippe ; il ma accordé sa confiance et
jai conscience quil ma donné bien au-delà
de son immense talent. Jai rencontré un artiste mais aussi
une personne magnifique.
Ce qui mintéressait, au départ, entre Edy (2004)
et Louis, le personnage quil interprète, cest le
rapport père-fils quils peuvent entretenir. Et, étrangement,
même si la ressemblance physique nest pas frappante, il
y a quelque chose de cet ordre-là entre François et Philippe.
Ils peuvent appartenir à la même famille dacteurs.
Quand nous avons fait les premières lectures, cette filiation
ma sauté aux yeux, dans leur rapport dhommes et de
jeu. Ils peuvent se situer à la fois dans la distance et dans
linvestissement. Ce qui est rare. Certains acteurs ont un côté
distancié comme Claude Rich. Dautres sont totalement investis
comme létait Patrick Dewaere. Philippe et François
peuvent faire les deux.
Pouvez-vous nous parler des comédiens
qui les entourent : Yves Verhoeven, Laurent Bateau, Cyrille Thouvenin
et Pascale Arbillot ?
Yves Verhoeven est un acteur à part, surréaliste, décalé,
sans cesse inattendu.
Son personnage est complexe : il enquête sur un meurtre tout en
étant un des moteurs principal du ton comique du film. Je ne
voulais pas tomber dans le grotesque. Je souhaite que le spectateur
se demande sans cesse si ce personnage est malin ou idiot, en tous les
cas quil narrive jamais à le cerner. Or Yves a la
faculté de se glisser dans cette ambiguïté-là.
Son jeu est empreint dune folie si pertinente quil est possible
de lui demander des choses terriblement décalées sans
que cela sombre dans le ridicule. Cest un acteur de composition
incroyable. Sans lui, le film ne serait pas le même. Il a entériné
la drôlerie et le second degré du film et les a propulsés
au-delà de ses scènes. Je sais que je ne ferai plus un
film sans lui.
Je connais Laurent Bateau depuis longtemps. On a travaillé ensemble
comme acteurs. Jai longtemps hésité sur la distribution
de ce rôle et finalement confier celui-ci à Laurent est
apparu comme une évidence. Je lui ai juste demandé de
se transformer un peu physiquement, darborer une moustache. Laurent
est un acteur minimaliste et très pointu et javais besoin
que «sa machine semballe».
Il est sorti exténué des trois jours de tournage nécessaires
à sa scène face à François mais jai
été époustouflé par ce quil ma
donné. Il a repoussé ses limites de manière incroyable.
Javais aussi déjà travaillé avec Cyrille
Thouvenin. Je crois quil a été assez surpris que
je lui propose dinterpréter ce skinhead violent. Je sentais
quil avait ce potentiel mais quil navait encore pas
eu loccasion de lexploiter. Je garde un sentiment très
fort des scènes dans le RER avec lui. Ce fut une direction à
bras le corps. Javais limpression dêtre un entraîneur
avec son boxeur.
Pascale Arbillot est une actrice qui mavait impressionné
quand nous avions tourné ensemble dans : Quand la neige fond
où va le blanc ?. Javais écrit le rôle de
la secrétaire d Edy (2004) en pensant à une femme
de 50 ans. Puis dès que jai commencé à me
pencher sur le casting, jai compris quil fallait quelquun
de plus jeune et aussi de séduisant pour sortir des sentiers
battus. Pascale allie les deux.
Comme Yves, elle est capable dinsuffler un second degré
tout en étant totalement impliquée dans le sort de son
personnage. Cest une véritable actrice anglo-saxonne.
Dans quel état desprit étiez-vous
le premier jour de tournage ?
Jétais très excité.
Javais choisi délibérément de démarrer
par une scène très importante entre Philippe et François.
Une séquence où Philippe parle pendant plus de 2 minutes
et où François écoute. La première prise
de Philippe a été évidemment formidable... mais
ne correspondait pas à ce que je souhaitais !
Alors, je suis allé le voir pour le lui dire en prenant beaucoup
de gants (ce qui la fait beaucoup rire à chaque
fois). Je lui ai précisé lénergie que je
souhaitais pour cette scène-là. Et la deuxième
prise sest révélée époustouflante.
Jai vu demblée la différence entre un acteur
et un grand acteur. Il a non seulement respecté ce que jai
pu lui indiquer comme direction mais la magnifié cent fois.
Jétais extrêmement heureux au bout de cette journée.
Je me souviens que François ma appelé vers 20h30
pour me demander si jétais content.
Et... me révéler quaprès que je sois venu
le voir, au terme de la première prise, Philippe sétait
tourné vers lui et lui avait dit : «il va nous faire chier
le petit con» avant de rajouter «mais il a raison !»
Le rapport avec Philippe a été idyllique. Quand il nétait
pas sur le plateau, il prenait le temps de mappeler pour savoir
comment se passait le tournage et si François se comportait bien
(rires). Je lai senti incroyablement investi.
Avec le recul, comment décririez-vous
votre comportement sur le film ?
Il faut savoir que beaucoup de gens de léquipe technique
issus de mes courts-métrages sont passés
chefs de poste sur ce film. Leur implication totale a aidé à
créer une synergie.
Pour autant cela ne ma pas empêché de me comporter
parfois comme un tyran si bien quen découvrant voilà
peu le making-of, jai eu limpression dêtre schizophrène
!
Faire un film, cest aussi ne rien lâcher et amener les gens
à vous y aider.
Cest plus facile dans ce cadre de travailler
avec des gens que lon connaît justement dans la vie, comme
François Berléand, Marion Cotillard, Laurent Bateau...
?
Sur le plateau, on oublie totalement les rapports que lon a avec
les gens dans la vie. Seul compte le film ! Attention, je navais
pas envie de bousculer les gens pour le plaisir de les bousculer. Mais
je voulais aller loin avec eux. Le fait aussi dêtre acteur
et davoir vécu soi-même des expériences moyennes
avec certains réalisateurs pousse à cela.
Je voulais que lacteur qui vient sur mon plateau même pour
une seule journée noublie pas cette journée-là
! La qualité des «petits rôles» dans le cinéma
américain prouve que tout le monde a son importance.
En quoi être vous-même acteur vous a facilité les
choses ?
Cela permet déjà de savoir quil y a autant de méthodes
de travail que de comédiens et que chacun aborde son rôle
différemment. Avec François, nous avons eu un rapport
très tactile, je le prenais beaucoup dans mes bras et lui glissais
des indications à voix basse. Une relation très intime.
Son personnage est peu bavard et François déconne beaucoup
entre les prises. Mais je savais quil fallait que je le laisse
faire, que je ne devais pas lui enlever cette énergie essentielle
à ses yeux. Il y avait un rapport de confiance totale, donc de
total abandon. Jai conscience de la rareté de ce quil
ma donné dans ce film.
Avec Philippe, cétait différent. Une fois quil
a décidé de vous faire confiance, on peut fonctionner
par petites touches et il ne cesse de vous surprendre. Nous avons eu
aussi de nombreux moments de confidences : nous avons beaucoup partagé.
Dans quel état desprit étiez-vous
le dernier jour de tournage ?
Le dernier jour fut douloureux. Ce fut un tournage si intense... Et
les six mois de post production qui ont suivi ont eux aussi été
à cette image.
Cela peut paraître à la fois puéril et prétentieux,
mais jai fait le film que javais envie de faire avec les
gens avec qui javais envie de le faire. Et jai conscience
du privilège que cela représente aujourdhui.
Je sais que si je devais recommencer toute cette aventure, je le ferais
exactement de la même manière, avec les mêmes personnes
et avec le même bonheur.
La musique joue un rôle essentiel dans
ce film. Le jazzman norvégien Nils Petter Molvaer en signe la
B.O. Quest ce qui vous a dicté ce choix ?
Je ne voulais pas travailler avec un compositeur qui avait fait 50 musiques
de films. Je souhaitais emmener quelquun dans mon univers. Un
an avant le tournage, jai fait écouter à Frédéric
Bourboulon lalbum KHMER de Nils Petter Molvaer, en lui disant
que je souhaitais lui confier la musique du film. Nils est un trompettiste
incroyable dont la musique sapparente à lélectro
jazz. Et Frédéric, passionné de jazz, a tout de
suite accroché.
Cette trompette dominante qui symbolise Edy (2004) évoque forcément
Miles Davis dans Ascenseur pour l'échafaud (1957) et donne la
couleur polar que je souhaitais avec en plus une modernité inattendue,
inhérente aux compositions de Nils.
Cest sa musique qui vous a donné
lidée de ces sept premières minutes entièrement
musicales qui ouvrent votre film ?
Non, la première version du scénario comptait déjà
ces 7 minutes musicales de départ. Au tout début, javais
envisagé de la musique classique mais jai inscrit très
vite le nom de Nils dans le scénario. Ces minutes-là donnent
le ton du film. Elles sont en harmonie avec le personnage mutique d
Edy (2004). On ne sait pas demblée où lon
va avec lui, ni qui il est, ni ce quil fait, ni pourquoi il le
fait. Or jadore les films qui démarrent en donnant cette
impression de flou volontaire sans pour autant laisser le spectateur
sur le bas-côté. Pour cela, la musique joue un rôle
essentiel : elle doit être prenante et amener le spectateur dans
latmosphère du film tout en éveillant sa curiosité.
Les 7 premières minutes d Edy (2004) pressentent le film
noir mais on ny est pas encore et pourtant lémotion
est déjà palpable. Et ça, je naurais jamais
pu le créer sans le génie de Nils.
Au début de la post-production, nous lui avons envoyé
un montage des premières images par internet. Il nous a renvoyé
de la musique qui ma permis de rebondir. Sa première maquette
ne ma pas convaincu. Javoue que ce fût quelque peu
délicat de lui dire et de lui expliquer pourquoi. Mais jétais
obligé dêtre directif car ce moment-là est
décisif pour le film. Deux jours après, il me renvoyait
une maquette qui correspondait exactement à mes envies et mes
besoins pour ces sept minutes. Cette harmonie de travail entre nous
na jamais cessé au cours de lenregistrement.
Quel est votre état desprit daujourdhui,
à quelques semaines de la sortie d Edy (2004) ?
Je me rends compte que faire un film nest pas une fin en soi et
que, très vite, cest le prochain qui va être important.
Mais je sais aussi quil ny a quun premier film. Et
que ce sentiment de la première fois est unique.
Quoi quil arrive désormais, Edy (2004) va vivre sa vie.
Je suis très fier de lui, mais je crois quà son
âge il est maintenant temps quil quitte la maison.