Entretien
avec Bertrand Blier :
Comment est née lidée de cette rencontre à
la fois banale et surprenante entre un type lambda et une fille sublime?
Jai dabord pensé à un homme qui passe tous
les soirs devant un bar dans lequel se trouve une fille sublime. Ce
qui est une chose banale. Moi jhabite près de Pigalle et
il mest arrivé de passer devant des bars où il y
a des filles vraiment sublimes, pas des demi-portions mais de vrais
canons. Cest un type dont on imagine quil a une vie privée
pas très reluisante, probablement par timidité. Il na
pas le physique quicorrespond aux canons de notre époque. Il
en souffre. Il est un petit peu «houellebecquisé».
Le choix des acteurs est très important dans cette histoire.
Un film cest quoi ? Le choix des acteurs. On peut toujours écrire
une histoire mais quand on na pas les acteurs, lhistoire
reste dans le tiroir.
Doù le choix de Monica Bellucci et Bernard Campan qui sont
la chair du film...
Monica, cest une chose, mais la mettre en face dun homme
comme Bernard Campan, cela signifie mettre en face dune femme
sublime un garçon qui a un physique dune quintessence de
Français...
Cest- à- dire?
Il y a des visages extrêmement révélateurs en France
et Bern a rd Campan en est un. Il a ce visage du Français roublard,
malin, courageux. Disons quen 44, il aurait été
dans la Résistance et il aurait été torturé,
mais il sen serait sûrement sorti parce quil est malin.
Cest un acteur qui est un «looser-gagnant». Looser
au début, gagnant à la fin. Cest pour cela quau
cinéma, le choix des acteurs est plus important que le scénario
qui est une formalité quand on a des acteurs comme Monica Bellucci
et Bernard Campan.
Le personnage de Daniela, lavez-vous écrit sur mesure pour
Monica Bellucci?
Bien sûr! Le film nexiste que parce quun jour je suis
allé voir le film de Gaspard Noé, Irréversible,
que jai adoré et je suis resté sous le choc de la
présence exceptionnelle de Monica. Dans lhistoire du cinéma,
je navais jamais vu ça, même Marylin Monroe navait
jamais joué ça. Je ne compare pas les talents dactrice,
ce nest pas ça, mais laudace, la liberté de
mouvements, le corps, lexplosion - tout en restant habillée!
Alors, je me suis dit : «Cest pour moi, cest pour
ça que je fais du cinéma!».
Pour ça, quoi?
Pour filmer des femmes! On est content de filmer Depardieu ou Jean Carmet.
Jai eu la chance de travailler avec des grands acteurs. Il me
semble que Monica Bellucci, ça ne métait encore
jamais arrivé. Je ne parle pas du talent. Jai eu des grandes
actrices: Carole Bouquet, cest la beauté absolue, cest
autre chose. A mon âge, on peut tout dire. Monica met lambiance.
Elle arrive, sassied, fume une cigarette et elle met lambiance.
On a tous envie de se la faire, cest évident, même
si on nest pas obsédé sexuel. Elle est dans un bar
et vaut très cher. Bernard Campan est lacteur idéal
de la situation parce quil a du charme. Campan cest un «baiseur»,
pas un gros «baiseur» mais un «baiseur». Une
fois quon a ces deux acteurs là, on a le film.
On a limpression que Combien tu maimes? balance entre la
pudeur et limpudeur, cest volontaire?
Non, ce nest pas une question de pudeur ou dimpudeur. Cest
un film avec Monica Bellucci. Il ne peut pas y avoir dimpudeur,
on devine tout à travers ses vêtements. Plus elle est habillée,
plus elle est troublante et excitante.
Cest un film qui est fait sur une actrice, pour une actrice. Je
ne laurais pas fait avec une autre. Cela naurait eu aucun
sens.
Pourquoi?
Parce quelle a à la fois cette sensualité et cette
spontanéité uniques. Cest simplement un metteur
en scène qui dit : «Cette fille là, cest une
dévastation». Alors, cest pour moi et jinvente
un personnage qui lachète avec un pognon hypothétique.
En fait, ce client veut vraiment «soffrir» cette fille
Cest un thème intéressant qui consiste à
proposer un salaire à une pute pour quelle vive avec vous.
Ça ne me paraît pas une aberration. Je pense que
cest un postulat raisonnable. Ce nest pas plus absurde que
de payer une prestation compensatoire à vie. Ça se tient.
Il y a des filles avec lesquelles on paie avant et puis dautres
où lon paie après. Lhomme paie.
Ca vous gêne?
Cest très «emmerdant». Les femmes se libèrent,
réclament une égalité, elles ont raison de la réclamer,
pourquoi faudrait-il les payer à partir du moment où on
les quitte. Quand elles nous quittent, on ne leur demande pas une pension
Cest le système américain. Oui, mais il nest
pas forcément «the must of the world». Elle est où
la liberté de la femme là-dedans? Je ne parle pas des
enfants. Quand il faut élever des enfants, il y a des pensions,
cest out à fait normal. Le papa paie, la maman paie; tout
le monde paie. Mais quand cest simplement la sanction juridique,
cest-à-dire quon est condamné parce quon
a quitté une dame qui ne nous fait plus «bander»,
quest-ce ? Un crime ? La pute, on paie avant. Premièrement,
on connaît le prix, deuxièmement , on est informé
: on sait que cest une pute. On ne peut pas avoir lair surpris.
Monica/Daniela incarne-t-elle lidéal féminin?
Elle incarne ce quelle est, cest-à-dire une femme.
Dun autre temps. Un temps où les femmes ne passaient pas
leur journée à compter leurs bourrelets. Il y a de lopulence
chez elle. Et nous, on aime bien ça lopulence. On aime
bien les femmes quand on sait par où les attraper, quand il y
a quelque chose pour saccrocher. Sinon, il faut pitonner car on
est parfois sur des parois lisses. Là, au moins il y a de la
«matière», cest la femme éternelle.
Pas de doute, cest vraiment un film franco-italien. Le metteur
en scène est français mais lactrice principale est
italienne. Tout ce qui fait cette actrice, son corps, ses seins, sa
croupe, cest lItalie, cest lopéra. On
ne met pas de laccordéon là-dessus. Vers la fin
du film, quand elle étend son linge sur la palier, on pense à
Sofia Loren dans Une Journée Particulière. Cest
une chose que jai découvert en cours de tournage. Il y
a une histoire damour entre
la France et lItalie sur le plan culturel. Beaucoup de Français
qui ont un peu de chance dans la vie, se disent : «Dans le pire
des cas, si je ne peux plus vivre en France, jirais vivre en Italie».
Cest le seul endroit où un Français pense que ce
sera supportable.
Pas de France sans lItalie, donc?
Non. Cest pour cela quil y a beaucoup dopéra
dans mon film et ce défilé de combinaisons... On a fait
des essayages avec Monica, je nai jamais rien vu de semblable.
Pour vous, la vraie révolution, est-ce lamour?
La vraie révolution, cest le sexe. La révolution
se trouve là. Lamour est un idéal. Par contre, si
on «baise» dans le métro à six heures du soir,
ça cest une révolution. Le sexe dérange encore
et peut-être plus aujourdhui quhier quand jai
commencé à faire des films.
Considérez-vous Combien tu maimes? comme un film qui dérange?
Je ne cherche pas à ce quil soit dérangeant. Cest
un film de câlins, un film-polochon. Cest comme un animal
de compagnie, il faut le sortir de temps en temps. Mais lhistoire
en elle-même est violente, dangereuse et un tout petit peu immorale
parce quon nachète pas une femme. Ça ne se
fait pas. Lui, le fait.
Ce qui nempêche pas Daniela de tomber amoureuse de lui
Oui. Elle est séduite par son amour.
Cest aussi une femme qui hésite à un moment donné
entre son maquereau et lui?
Cest pas vraiment un maquereau, cest un gangster. Une fille
qui est dans un bar à Pigalle, son meilleur copain cest
pas Bern a rd Kouchner. Voilà. Elle est avec des vilains. En
même temps, Daniela est très pure. Cest une pute
sublimée. On ne voit pas de vices en elle. Cest ambigu..
On ne sait pas trop. Elle va là où cest le plus
costaud.
Dans votre livre Pensées, Répliques, vous écrivez
: Une femme qui donne beaucoup damour finit toujours par
se faire aimer. Est-ce le cas de Daniela qui donne beaucoup damour?
Elle na pas besoin den donner. Elle se fait aimer comme
ça, dentrée de jeu. Dune manière générale,
on pourrait dire que les putes sont extrêmement romantiques. Je
parle de la vraie pute, celle qui travaille. Je ne parle pas des très
jeunes qui sont des diables. Je parle de la vraie, qui a du kilométrage.
Que va-t-elle ambitionner? Rencontrer lhomme de sa vie, arrêter
le travail. Le schéma classique. Pas mal de putes se marient
avec des clients. Je dis ça mais je nen sais rien, je nai
pas les chiffres. Dans ce film cest compliqué, confus parce
quelle na pas vraiment besoin dun copain, dun
garçon comme ça. Elle peut continuer sa route seule. En
même temps, à la fin, elle se pose. Elle est dans ses fringues,
à litalienne: cocooning, maison, petits plats. Elle redevient
une femme lambda. Une femme qui nest plus prostituée.
Comment peut-on situer ce film dans votre carrière?
Je ne le situerais pas parce quune carrière de metteur
en scène est tellement le fruit du hasard que cest impossible.
Je dis ça parce que je suis auteur de mes films et que personne
décide à ma place le sujet à raconter. A chaque
fois que je choisis un film, jen ai trois ou quatre autres en
même temps qui restent sur le carreau. Un film, cest souvent
parce quun acteur nest pas libre et un autre oui. Ou parce
que ça fait rire le producteur. La vérité est quil
faut que ça vienne sous la plume. Quand les deux ou trois premières
pages viennent sous une forme qui paraît agréable et qui
donne envie de continuer, à ce moment-là on fait le film.
Ce nest pas le problème dêtre daccord
avec le producteur ou pas, ou encore avec les acteurs. Il faut ce mystère
qui fait que, tout dun coup, on a envie décrire le
film. Il y a dautres histoires quon aime beaucoup, qui pourraient
faire des films formidables mais quon na pas envie décrire.
Cette histoire vous tenait tellement à coeur?
Je nen sais rien, mais cest venu comme ça facilement,
les premières pages, la première scène. Quand on
a la première scène, on continue. Cest aussi bête
que ça.
Est-ce le fruit du hasard?
Oui, beaucoup. Et puis le fruit dune démarche personnelle,
secrète, obsessionnelle qui fait quon fait tel film et
pas un autre.
Diriez-vous que Combien tu maimes? est une comédie?
Oui, tout à fait. Tous mes films sont des comédies. Je
nai jamais fait de film sérieux. Tous mes personnages sont
des demeurés. Cest un film qui apparaît moins sombre
que les autres... Jai souvent pensé à ce re p roche
qui ma été fait. Pourquoi y a-til des films sombres
et plaisants et dautres sombres et pas plaisants? Ils sont tous
sombres depuis Les Valseuses jusquà celui-là. Buffet
Froid on ne peut pas dire que cest un film sombre, il est plus
noir que le charbon. Tandis que celui-ci finit bien. Cest un film
très dynamique, très tonique. Chez le désespéré,
ce qui est mon cas - comme chez beaucoup de gens qui font ce genre de
métier, sinon on ne ferait pas ça -, il y a beaucoup deuphorie.
Mais cest une euphorie noire. Dans la noirceur, il y a souvent
de lespoir. Enfin, il me semble. Il ny a que les pessimistes
qui ont le droit despérer. Lespoir est flamboyant
quand ilsort de la noirceur la plus totale. Jouer avec le désespoir
est très difficile. Cest un problème de dosage.
Parfois on fait des films, ça mest arrivé, où
le dosage nest pas extrêmement réussi et on tombe
dans le mauvais côté. Cest comme une sauce pas réussie.
Les films cest comme ça. Cest la même cuisine.
En littérature comme au cinéma, écrit-on toujours
la même histoire, tourne-t-on le même film?
Jai toujours envie de faire le même film sauf que certains
ont glissé, parfois pour des raisons que je suis le seul à
connaître, dont on ne peut même pas parler.
Entretien
avec Monica Bellucci :
Qui est Daniela?
Une pute au grand coeur partagée entre deux hommes : son client
qui aurait gagné au loto et son mac qui hésite à
la vendre?
Cest une femme compliquée, qui na pas connu lamour
et suscite le désir des hommes. Quand jai rencontré
Bertrand Blier, il ma parlé dun rôle de pute
mais je nimaginais pas mon personnage comme tel. Du coup, je lai
abordé différemment.
Comme une femme capable de donner beaucoup damour...
Oui, mais
elle ne le sait pas. De même, dans sa façon de shabiller,
elle ne fait pas pute. Moi, en lisant le scénario, je croyais
quelle devrait
porter des porte-jarretelles, mâcher du chewing gum, marcher les
seins en avant, faire la pute quoi! Mais pas du tout! Il sagit
dune femme sensuelle mais très classique, qui porte des
jupes normales, des petits pulls, des talons aiguilles et un manteau
très correct avec lequel elle pourrait même aller à
la messe. En fait, le personnage nest pas vulgaire. Ce qui est
fort de la part de Blier. Et il y a beaucoup dironie dans ce personnage
quand elle dit : «je suis faite pour être aimée,
je suis faite pour ça». Cest drôle, non? Je
crois quelle est faite surtout pour être désirée.
Comment cette «professionnelle» qui, en principe, ne doit
pas tomber amoureuse, finit-elle par craquer pour son client, François?
Parce que Bern a rd Campan qui, physiquement, est un homme mignon dans
la vie, réussit à faire de son personnage un homme plein
de charme. Plus on le découvre, plus on laime. Il est dans
la vie comme sur un plateau de cinéma. Du coup, notre couple
fonctionne bien. Daniela apprend à découvrir François
qui laime comme personne ne la jamais aimée. Elle
redécouvre sa pudeur, elle est touchée. Et même
à la fin du film, lorsquelle tombe dans les bras du meilleur
ami de François (joué par Edouard Baer), elle ne peut
pas résister. Elle est comme ça, sensuelle. Le fait de
retrouver son passé évite les clichés dune
jolie histoire un peu fade. Du coup, on est dans un film de
Blier pour de vrai.
Vous croyez quelle finit comme une femme rangée qui soccupe
de la maison et de son chéri?
Pour quelque temps, on suppose que oui. On la voit pendre son linge
dans lescalier, comme Sophia Loren dans Une journée particulière.
Cest un clin doeil à lItalie toute entière,
à sa sensualité, à sa douceur, aux gens qui chantent
dans la rue...
Blier vous voit comme lItalienne idéale, sujette à
tous les fantasmes des hommes, quen pensez-vous?
Je ne peux pas répondre. Disons que jai existé à
travers son regard et mon personnage. Je crois que cest une femme
qui devient forte grâce à sa fragilité.
Cette histoire dargent qui tourne à une histoire damour,
vous ne trouvez pas ça un peu ambigu?
Ambigu, sans doute, mais en même temps, la majorité des
prostituées font ça pour largent. Ce qui est une
façon de se protéger de lamour, quelque part. Et
quand elle rencontre lamour, elle craque comme toutes les femmes
en général (rires).
Comment interprétez-vous cette question : Combien tu maimes??
J adore ce titre! Combien?, cest le début du film,
et tu maimes, la fin. Lamour gagne. Et comme il est aveugle,
largent ne compte pas!
Vous avez dit : «il ny a pas de grande carrière dactrice
sans rôle de pute». Est-ce vraiment un passage obligé?
Jai dit ça pour rigoler. Mais il y a eu des rôles
magnifiques qui font partie de lhistoire du cinéma : je
pense à Sophia Loren et Marcello Mastrioanni dans Mariage à
lItalienne, à Catherine Deneuve dans Belle de Jour et à
Giuletta Massina dans Les Nuits de Cabiria.
Quel regard porte sur vous Bertrand Blier?
Je suis assez touchée parce quil a écrit un rôle
pour moi sans me connaître, pour une actrice quil avait
vu une fois dans le film de Gaspar Noé. Ce qui prouve quil
a une sensibilité hors du commun et quil aime beaucoup
les acteurs. Quand jai commencé à travailler avec
Bertrand, on ma dit : «fais attention, cest un misogyne
et tatati et tatata...». Pas du tout, derrière le réalisateur,
il y a un homme qui cherche à deviner ce quest une femme,
comment elle est faite. Je ne crois pas quil aura la réponse
mais, en tout cas, il essaie...(rires)
Avec ce rôle, avez-vous limpression daller au-delà
de votre physique, dévoluer?
Jusquà maintenant, jai eu des rôles différents
et assez intéressants, que ce soit avec Irréversible,
Agents Secrets ou La Passion du Christ. Je crois que celui-ci présente
certainement une évolution dans mon chemin de comédienne.
Daniela met non seulement le feu au coeur des hommes mais bouscule aussi
les conventions. Ça vous plait?
Moi, je suis toujours à la recherche de rôles risqués
qui me permettent daller plus loin. Blier est un homme cultivé
qui aime le cinéma, il est insolent et pas du tout «politiquement
correct». Javais très peur quand jai commencé
le film parce quil y avait beaucoup de texte et que le rôle
mobligeait à jouer sur plusieurs registres. Vous savez,
on croit toujours que la beauté induit la force et exclut la
fragilité, comme si la beauté excluait la souffrance,
ce qui est complètement stupide. Blier na pas eu peur de
tout ça et ma fait jouer simplement une femme, désirée,
bien sûr, mais en même temps fragile.
Jusquoù peut-on aller dans les scènes dénudées?
Quelle est la frontière entre la pudeur et limpudeur?
Ça dépend du réalisateur. Je crois au langage du
corps qui a un pouvoir dexpression sans limite, autant quun
visage. Je nai pas peur de montrer mon corps, et je lai
prouvé dans Irréversible où il était réduit
à létat dobjet. En même temps, cest
une question très personnelle. Si le nu est important pour le
rôle, je fais confiance au réalisateur. Avec Blier, je
savais parfaitement que je nallais pas jouer un rôle de
bonne soeur. Mais le film reste très pudique...
Vous navez pas tourné pendant quelque temps pour donner
naissance à votre petite fille. Cela a-t-il changé votre
vie ou votre conception du métier?
Comme femme, je me sens plus heureuse. La maternité était
vraiment une expérience que je voulais vivre. Tomber enceinte,
accoucher, allaiter, tout ça ma comblé. Pendant
le tournage, ma fille était avec moi dans la caravane et cela
ma beaucoup aidé. Tourner une scène damour
et donner le sein deux minutes après, cétait pour
moi très beau, très sain de passer ainsi de lactrice
à la femme. Dailleurs, le fait que ma fille soit toujours
avec moi me permet doublier que je travaille beaucoup.
Entretien
avec Bernard Campan :
Comment raconter
Combien tu maimes? à travers votre personnage, François?
Cest un coup de foudre, lhistoire dun type qui tombe
raide dingue dune femme. On suppose quil a gagné
au loto et il devient une sorte de victime consentante de lamour.
Mais jusquà quel point victime ou consentant, on ne sait
pas trop...
Peut-on dire que cest un coup de foudre calculé?
Cest vrai que lon suppose que François a pris son
temps pour aborder et séduire cette femme sublime. Comme si il
avait mis son coup de foudre en veilleuse afin de mettre toutes les
chances de son côté. Il est comme une marmite sous pression
et il avance.
Bertrand Blier vous a-t-il donné quelques indications sur votre
rôle?
Non, il ne dit jamais grand chose, il ne rentre pas dans les explications
psychologiques sur le passé ou le présent des personnages.
Il procède par petites touches. Toutes les didascalies sont là
pour expliquer les situations ou les réactions des personnages.
Un jour où jétais bloqué sur une scène,
il ma simplement dit: «tu sais, il va gagner ton personnage!
»
Donc, vous vous êtes retrouvé dans la peau dun certain
François qui mène une sorte de combat héroïque
pour conquérir une femme?
Un mec lambda qui y croit et se retrouve avec une bombe dans les bras.
Ce nest pas un looser, mais plutôt un stratège qui
a une idée en tête. Cest lui qui dit à Daniela
: «tu veux combien, tu maimerais à ce tarif là?
OK?» Et cest lui qui mène la barque! Cest beau,
non? Du coup, on oscille entre une histoire damour et dargent.
Y a-t-il duperie ou pas?
Je ne crois pas. Largent, cest parce quil na
pas dautres moyens pour approcher cette femme. Il est démuni
et, au début, il na que ça pour la séduire.
Mais on sait bien que largent ne peut pas être une finalité
dans une relation amoureuse. Une fois éparpillé, que reste-
t- il? Une histoire damour, justement.
Ce titre, Combien tu maimes?, comment linterprétez-vous?
Jusquà quel point tu maimes ou tu peux maimer?
Lamour est égoïste et chacun, au cours de lhistoire,
trompe lautre. Cest un
peu ambivalent parce que cest un homme qui achète une femme
qui, contre toute attente, va tomber amoureuse de lui. Du coup, il est
harponné.
Comment voit-il cette Daniela?
Comme une icône de lamour, de la forme, des formes, de la
chair. Elle symbolise lidéal féminin, jimagine.
Il voit en elle trois femmes en une : une amante, une compagne et une
mère. Il bande comme un fou pour elle! Il veut lépouser,
avoir des enfants. Cest une histoire damour explosive et
toute bête! En même temps, il porte sur elle un regard très
pudique. Elle lui dit : «jaime comme tu me prends, tu me
respectes » .
Au fil de lhistoire, les pistes se brouillent: François
trompe Daniela qui le trompe avec son mac, Charly (Gérard Depardieu),
et un type de passage. On ne sait plus qui aime qui? Cest une
part sombre, mystérieuse de lhomme, capable dêtre
amoureux et daller voir sa voisine de palier. Du coup, Daniela
le prend très mal mais, en même temps, elle revoit son
mac.
Le fait quelle soit une prostituée change-t-il les choses?
Ce qui est intéressant cest que Bertrand Blier en fasse
un personnage mis à distance, pas faite pour tomber amoureuse.
Donc, pourquoi va-t-elle tomber amoureuse? Largent va-t-il changer
quelque chose?
Comment avez-vous travaillé avec Monica Bellucci?
Bertrand ne fait pas de répétitions, il travaille sur
linstant. On fait une mise en place et, à partir de là,
on tourne. Ce qui nest pas facile. Pour les scènes damour
avec Monica, on a recherché la simplicité sans jamais
trop se poser de questions. On sest souvent retrouvés entre
les prises, nus tous les deux, sous une couverture en train de parler
de nos personnages...
Que vous ont apporté ce rôle et cette expérience
chez Bertrand Blier ?
Ca ma donné beaucoup de plaisir. On a travaillé
en studio pendant plusieurs semaines, dans le même décor.
Cest réconfortant de retrouver un univers familier et quotidien.
Je nai jamais vu Bertrand stressé. Quand il y avait un
problème, je le voyais re t o u rner à son pupitre, bourrer
une pipe et relire la scène pour essayer de mieux comprendre
et de concilier le point de vue de lauteur et du réalisateur.
Je lai vu aussi chercher, en toute humilité et avec beaucoup
de patience, la construction des plans. Je crois que lon fait
ce métier dacteur en prenant son temps, pour mieux progresser
et surmonter tous les problèmes que pose un personnage. Rilke
le dit dans Les Lettres à un
Jeune Poète : «la patience est tout».
Comment définiriez-vous Combien tu maimes? ?
Une histoire damour plutôt optimiste et qui se termine bien,
après pas mal de surprises, de péripéties et démotions.
Du coup, on peut dire: «cest un Blier!». De tous ses
films, cest le plus dépouillé, le plus simple, ce
qui lui donne beaucoup de force.