Un
défi inédit
Dans le contexte
du cinéma français et européen, le film Les Chevaliers
du Ciel (2004) apparaît comme un véritable défi,
un défi inédit lancé par Gérard Pirès
avant même l'écriture du scénario, et accepté
d'emblée par la production : tenter de réaliser un film
résolument moderne sans recourir aux effets spéciaux numériques
et aux reconstitutions en 3-D, des prises de vue réelles capturant
les scènes aériennes les plus spectaculaires jamais montrées
au cinéma.
Spécialement conçu à cet effet, un bidon de kérosène
a servi de support d'intégration pour quatre caméras 35mm
montées sur Mirage 2000, et susceptibles de filmer simultanément
jusqu'à 50 000 pieds d'altitude et à la vitesse du son
! Afin de recréer pour les comédiens les conditions de
vol réelles en cockpit, un habitacle de Mirage 2000 a été
entièrement reconstruit sur nacelle télescopique avec
caméras intégrées.
Ce défi n'aurait pu être relevé sans le soutien
exceptionnel du Ministère de la Défense et de l'Armée
de l'Air française. Un soutien d'envergure : 12 semaines de tournage
aérien dont, cas exceptionnel, plusieurs vols au-dessus du centre
de Paris, participation à plusieurs dizaines de missions Mirage
2000 en compagnie des meilleurs pilotes de chasse des bases d'Orange
et de Djibouti.
Cependant, au-delà de la technologie, c'est l'enthousiasme et
la passion communes des pilotes, des techniciens, des officiers, auxquels
il convient d'associer certains fleurons de lindustrie européenne,
qui ont permis de relever ce fantastique défi.
Entretien avec les acteurs principaux du film
Les Chevaliers du Ciel
Le casting est un point fort du film. Comment
vous êtes-vous retrouvés tous ensemble sur le projet ?
Benoît Magimel
Les producteurs m'ont parlé du film alors qu'il n'était
pas encore écrit puis j'ai rencontré Gérard. Je
trouvais l'idée très séduisante. Le fait que Gérard
soit un passionné d'aéronautique, qu'il pilote lui-même
et qu'il ait énormément d'expérience vécue
en ce domaine, me donnait le sentiment que cela allait être un
film important pour lui, auquel il donnerait une dimension plus personnelle
qu'aux précédents films de genre qu'il avait réalisés.
Le choix de mes partenaires a aussi été décisif
pour moi. Tout était réuni pour me donner envie.
Clovis Cornillac
Je me suis dit qu'il y avait peu de films de cet ordre-là en
France. Et puis c'est ce type de films qui m'a fait aller au cinéma
quand j'étais gamin, et qui m'a permis ensuite de découvrir
des films plus pointus. Je suis assez gourmand de ces films d'action
bien fichus, dont l'objectif fondamental est de divertir. Je ne ferai
pas que cela dans ma vie et de toute façon, il n'y a pas beaucoup
de rôles comme celui-là à tenir
Géraldine Pailhas
Honnêtement, j'étais assez surprise que l'on puisse penser
à moi
J'en étais très contente, d'autant
que je savais déjà que Clovis et Benoît faisaient
le film
Dès la première page du scénario,
le rôle m'a tout de suite enchantée. À vrai dire,
je suis assez friande de films d'action, plutôt américains,
parce qu'a priori, les films d'action français sont plus rares
! Et quand cette opportunité de participer aux Chevaliers du
Ciel m'a été offerte, j'ai pensé que je n'aurais
pas deux fois une proposition comme celle-là. Tout ce qui constituait
ce projet était source d'enthousiasme et de curiosité
pour moi. Ensuite la rencontre avec Gérard Pirès a achevé
de me convaincre !
Philippe Torreton
J'avais toujours rêvé de participer à un film d'action
et d'aventures. J'avais beau le crier sur tous les toits et à
longueur d'interviews, mais voilà, j'ai une réputation
d'acteur intello qui fait du théâtre, alors qu'en fait,
j'adore plein d'autres genres. J'étais donc déjà
heureux que les producteurs et Gérard Pirès pensent à
moi, et encore plus heureux que ce soit pour jouer un scénario
comme celui-là, avec de l'action, mais aussi des images que l'on
n'aura jamais vues auparavant. Les moyens qui ont été
donnés à ce film sont au service d'une histoire qui nous
concerne tous, dans le sens où elle véhicule pas mal de
choses malheureusement propres au monde dans lequel on vit : la menace
terroriste, les ventes d'armes, les compétitions entre pays pour
obtenir certains marchés, etc. Je trouve que c'est assez intelligent
d'avoir réussi à regrouper tout ça, sans que l'action
ne l'emporte sur la dramaturgie et inversement. Je trouve que le cocktail
est vraiment bien fait. Donc, j'avais toutes les raisons de dire oui.
Alice Taglioni
J'étais convaincue avant même de lire le scénario
! Il faut dire que j'ai été baignée dans ce milieu
par mon grand frère. En effet, depuis qu'il a 4 ans, il est fou
d'avions de chasse, notamment du Mirage 2000. C'était son rêve
et il ne parlait que de ça. Il est vrai que, en voir un de près,
monter dedans et même faire un vol en Alpha Jet comme on a pu
le faire avec Clovis et Benoît, c'était un rêve inaccessible
qui s'est réalisé. Pour tout dire, c'était génial
Et puis c'était un vrai film d'action et pas seulement un film
de mecs avec des avions ! Il y avait de la place pour les rôles
féminins et l'intrigue semblait palpitante.
Vous n'avez pas eu peur que les avions soient
les vrais héros du film ?
Benoît Magimel
Non, pour moi, la consistance et l'étoffe des personnages constituent
l'argument principal d'un film d'action réussi
Si vous
n'êtes pas dans l'humain, à quoi bon prendre des acteurs
? Les machines n'ont pas de sentiments. Sans personnages, on finit par
s'ennuyer, cela devient conceptuel. Les personnages ont été
notre préoccupation principale pendant l'écriture et tout
le monde s'est investi dedans. De toute façon, l'histoire est
toujours l'enjeu numéro 1 et c'est grâce aux émotions
que l'on fait le voyage.
Clovis Cornillac
Les avions ont certes un rôle prépondérant, mais
cela ne m'a pas fait peur. Les avions font bien partie des personnages
principaux du film, mais on sait bien que tout l'enjeu dépasse
la simple description de ces avions. Si l'on veut juste voir des avions
voler, autant regarder un beau documentaire sur l'aviation ou sur l'Armée
de l'Air. En revanche, si l'on fait un film, il faut pouvoir identifier
et incarner celui ou celle qui est dans l'avion. Et tout notre travail
consiste en cela.
Géraldine Pailhas
Je ne m'étais pas posé la question. Ça me semblait
évident et Gérard Pirès me l'a confirmé,
ses acteurs ne seraient pas là juste pour faire joli même
si nous ne sommes plutôt pas trop moches dans le film !
Alice Taglioni
Et j'ai même l'impression que la part des comédiens est
énorme. Les avions, c'est exactement comme la combinaison de
pilote : ça aide juste à rentrer dans son rôle.
Dans le film, je suis très souvent en pilote et dès que
je m'habille comme ça, j'ai presque l'impression d'y être
! Quand en plus, il y a le Mirage 2000 à côté
c'est une aide formidable. C'est plus dur quand il faut jouer vraiment
et qu'il n'y a plus le support des avions.
Philippe Torreton
De toute façon, on ne voit jamais le personnage de Bertrand dans
un avion de guerre ! S'il prend un avion, c'est un Falcon, pas un Mirage.
Il n'est pas au cur des forces vives comme Benoît ou Clovis.
Il est plus dans l'aspect théorique, proche du commandement.
Donc il a encore d'une certaine manière plus de matière,
je trouve, par rapport à d'autres rôles, parce que c'est
compliqué de jouer le mystère. Et mon personnage en déborde
A propos des personnages, justement. Pourquoi
Marchelli et Vallois, et non plus Tanguy et Laverdure ?
Clovis Cornillac
Je crois que Gérard n'était pas très chaud pour
adapter les personnages de l'époque, le côté un
peu Pompidou, un peu vieillot
Quant à moi, c'est simple
: je ne connaissais la BD que par son titre. Donc pas d'attachement
à Tanguy, au contraire
Depuis l'époque de «
Tanguy et Laverdure », le métier de pilote a évolué,
la technique a évolué, les enjeux et les menaces ont changé
Il semblait logique que Tanguy et Laverdure aient changé eux
aussi.
Benoît Magimel
Ce qui nous a plu, c'est le tandem entre les deux pilotes. Marchelli
me semble d'abord indissociable de Vallois. On a d'ailleurs essayé
de construire ensemble leurs identités pour aboutir à
une histoire d'amitié entre deux personnages très différents,
mais très complémentaires.
Clovis Cornillac
Il y a ce que l'on pourrait appeler deux héros, enfin deux images
de héros, qui sont donc Marchelli et Vallois. Moi, je fais Vallois
et Marchelli, c'est Benoît. Il incarne un personnage qui est plus
secret, une espèce de beau gars un peu dense et moi, je suis
le type un peu laid et un peu grande gueule ! Honnêtement, je
pense que Benoît et moi, en tant que couple, ce nest pas
une mauvaise idée en soi ! A l'image, nous sommes très
différents dans notre manière de jouer par exemple, mais
on reste très complémentaires. On a un rapport amical,
franc et quand on a eu envie de changer des choses, ça s'est
fait sans problème. Et en dehors du tournage, on s'aime bien,
alors
Quelles ont été vos impressions
quand vous avez approché le milieu des pilotes et de l'armée
?
Benoît Magimel
On a bénéficié d'une longue préparation
au cours de laquelle on a effectivement pu rencontrer beaucoup de pilotes,
d'officiers
Franchement ils ont été impeccables
! Ils croyaient à fond au projet, nous ont beaucoup aidés,
on n'a jamais eu l'impression d'être avec des militaires, en fait
!
Clovis Cornillac
Tout à fait. Je ne suis pas quelqu'un de militariste, loin de
là
Mais ce qui est frappant dans ce milieu, c'est la passion
qui les réunit. Pilote de chasse, ce n'est pas n'importe quel
métier. Ou plutôt, c'est un métier et une passion.
Sur ce point, ce ne sont pas des métiers très différents
des nôtres. Si l'on n'est pas mûs par quelque chose qui
nous passionne, ce n'est vraiment pas la peine d'essayer. Le fait de
voler m'a fait comprendre l'état de liberté hallucinant
dans lequel pouvait se retrouver un pilote. J'ai d'ailleurs eu l'occasion
de tenir le manche pendant le vol. C'était merveilleux.
Benoît Magimel
La plupart du temps, ils ont ce désir de voler, de toucher le
ciel depuis leur enfance. On ne devient pas pilote par hasard. On peut
donc comprendre quelle tragédie traversent ceux qui se voient
exclus de l'Armée de l'Air pour une faute qu'ils n'ont pas commise,
ce qui arrive dans le film à nos personnages. Cela résonne
comme une trahison et je trouvais important de bien le faire ressentir
dans le film.
Philippe Torreton
C'est assez hallucinant de pénétrer dans ce milieu-là.
Ce n'est pas tellement les avions eux-mêmes, ce sont plutôt
les militaires qui nous autorisent à être là, dans
les hangars, à voir des choses que normalement on n'a pas le
droit de voir. C'est quand même incroyable de laisser pénétrer
toute une équipe de cinéma dans un tel lieu. Ce qui est
formidable dans le cinéma, notamment dans ce genre de film, c'est
que parfois, il y a des portes qui s'ouvrent sur des mondes qu'on croit
connaître, mais qu'on n'a jamais approchés. C'était
impressionnant de parler avec ces hommes. On en a rencontrés
de tous les grades, des jeunes novices qui rentrent à l'école
à ceux qui ont déjà beaucoup d'heures de vol
Ce sont des types très sérieux, mais qui ont de l'humour
aussi, qui ont ce besoin de décompresser qu'on peut voir dans
le film d'ailleurs. C'est touchant de pénétrer cette intimité-là.
C'est plus cela qui m'a impressionné que les avions, même
s'il est vrai que ce sont des engins sidérants.
Géraldine Pailhas
Nous avons été tous merveilleusement accueillis, chacun
des deux mondes désirant en savoir plus sur l'autre. Mais c'est
d'abord la carte postale qui m'a emballée : l'uniforme, les Ray
Ban, le soleil qui tape sur le tarmac, les mirages 2000
Tout cela
était parfaitement photogénique.
Alice Taglioni
Le plus marquant est d'avoir pu effectuer, avec Benoît et Clovis,
un vol réel
C'était incroyable. Je n'avais pas du
tout d'appréhension, alors que je peux en avoir à bord
d'avions « normaux ». Là, aucune peur, j'avais juste
hâte qu'on parte, qu'on mette les pieds dans le cockpit et qu'on
décolle. Même si, au bout de vingt minutes, quand on sait
qu'il reste encore quarante minutes de vol, on a un peu l'estomac retourné.
Et il y a les fameux G et le voile noir. On en prend plein
la tête
Clovis Cornillac
Initialement, je me suis dit qu'effectuer un vol tenait du privilège,
voire du luxe. Mais très rapidement, je me suis rendu compte
que ce n'était pas luxueux du tout ! En vol, j'ai eu ce qu'on
appelle le voile gris, qui survient autour de 7G. On voit
tout en noir et blanc. Il existe aussi le voile noir qui
se manifeste par une perte de connaissance pendant dix secondes et puis
d'un coup, on revient. J'ai évité ça, mais pas
le voile gris. On se retrouve écrasé dans
le siège, on voit tout en noir et blanc, et après
on a très mal ! Mais il y a pire ! Ce sont les G négatifs,
qui correspondent à une manuvre de l'avion, où le
pilote pousse fortement sur le manche. Tout va vers l'avant, tout le
corps semble vouloir sortir de lui-même par le haut. En gros,
le cerveau pousse sur les yeux ! En fait, l'expérience a été
formidable, parce que pour tourner tous les plans rapprochés,
on a eu la chance de travailler dans un cockpit monté sur vérins
qui pouvait bouger dans tous les sens, modifiant au passage les sensations
physiques liées à ces efforts. Et le fait d'avoir fait
un vol réel au préalable permettait au corps de se souvenir
de ce qu'il avait subi, comme prendre des G, ce dont on n'a pas forcément
l'habitude. Dès que le cockpit penchait d'un côté,
mon corps se rappelait la sensation qu'on peut avoir en vol quand on
prend 4, 5, ou 6 G
En moins violent, quand même !
Philippe Torreton
J'envie Clovis, Benoît et Alice ! J'aurais adoré vivre
cette expérience au moins une fois dans ma vie ! Le simple fait
de voir décoller ces avions me fascine, ce sont quand même
des engins fabuleux, et je n'ai même pas approché un simulateur
C'est une sacrée frustration.
Comment s'est passé le travail avec Gérard
Pirès ?
Benoît Magimel
On a tous été très sérieux pendant la préparation
du film mais pendant le tournage, ça s'est passé dans
l'humour et la détente. Gérard est très précis.
C'est aussi quelqu'un de droit et simple dans les rapports avec les
autres. Sinon, en général, il est à côté
de la caméra, très attentif aux acteurs. J'ai beaucoup
d'amitié pour lui.
Clovis Cornillac
Vous preniez aussi des G ! Non, je plaisante ! C'est un type avec qui
je m'entends très bien. Avec ce film, il semblait dans son univers.
L'aéronautique, c'est sa passion. Lui aussi, dès qu'il
peut être en l'air avec son hélico, des avions, des machins
il n'hésite pas. On se dit qu'il est passionné ! Donc
c'était vraiment agréable. Ça s'est très
bien passé.
Géraldine Pailhas
Il a une vision très nette de ce qu'il veut. Les prises étaient
en général assez brèves, et le montage était
déjà quasiment fait dans sa tête. Ça nous
laissait un peu l'impression de ne pas maîtriser ce que l'on faisait,
mais Gérard n'était jamais loin pour nous rassurer. Il
ne lâche rien, il est très précis, mais il est aussi
très disponible pour travailler sur des modifications de dernière
minute.
Alice Taglioni
Il était formidable Monsieur Pirès ! Je m'entendais très
bien avec lui. Je trouve que c'est un très bon directeur d'acteurs,
très ouvert. Il est impressionnant parce qu'il sait tout à
fait ce qu'il veut, et qu'il a son film dans la tête. Et ça,
c'est rassurant pour un comédien, surtout sur un film comme celui-là.
Que pensez-vous du fait qu'un film de cette ampleur
puisse voir le jour en France ?
Philippe Torreton
La France n'est pas le dernier pays au monde ! Nous disposons tout de
même de quelques atouts, alors autant financer des projets comme
celui-ci. Attention cependant à le faire correctement. Un film,
ce n'est pas un concept, c'est un tout, c'est une histoire, c'est une
équipe artistique et technique. Ce sont ces raisons qui font
du cinéma un art compliqué. Il faut penser à tout.
L'une des caractéristiques de ce film consiste dans le fait que
chacun doit pouvoir en prendre pour son grade : il faut que les ados
puissent adhérer au film, mais il faut aussi que le public plus
adulte puisse sortir de là en se disant que l'histoire lui a
plu. Quand on voit les films français qui sortent sur une année,
on constate qu'il y a plein de choses très différentes.
Il n'y a pas beaucoup de pays au monde qui peuvent se vanter de ça.
Cette diversité offre certes le pire et le meilleur, mais elle
a déjà le mérite d'exister. Je trouve qu'on devrait
profiter de cela pour mettre en présence des gens que rien a
priori n'amenait à se croiser
un peu comme sur ce film,
ce que je trouve très encourageant.
Géraldine Pailhas
Quand on a la chance d'avoir autant de moyens techniques et artistiques,
il n'est pas permis de faire un travail médiocre. On y tenait
beaucoup. Notre ambition était grande.
Clovis Cornillac
En plus, le film touche quelque chose de mythique
Personnellement,
je n'ai jamais rêvé d'être pilote. Mais quand j'ai
annoncé que j'allais faire Les Chevaliers du Ciel (2004) , nombre
d'amis - âgés de 20 à 80 ans - me disaient : c'est
génial ! Je n'avais pas imaginé deux secondes que
certaines personnes que je connaissais allaient fantasmer sur un projet
pareil ! Et tout d'un coup, j'ai mesuré que ça pouvait
faire partie d'un fantasme collectif
Entretien avec l'équipe de production
du film Les Chevaliers du Ciel
Comment s'est déroulée la genèse
de l'aventure, depuis l'idée de départ jusqu'au tournage
?
Laurent Brochand
Le projet a pris naissance au cours de l'année 2002. J'avais
en tête la BD qui a bercé mon enfance : « Tanguy
et Laverdure » de Charlier et Uderzo, et qui fût adaptée
en série télé sous le nom « Les chevaliers
du ciel » dans les années 60, 70 puis fin 80. Un titre
fabuleux, un tandem de héros emblématique, un univers
mythique
Je me suis alors rapproché de Mandarin Films pour
leur soumettre le projet d'une adaptation cinématographique
Eric Altmeyer
Nous avions envie de refaire un film avec Gérard, après
l'expérience de Riders (2001) dont le tournage au Canada nous
avait laissé un goût d'inachevé. Nous cherchions
l'idée
Pour un spécialiste de l'aéronautique
aussi sincère que Gérard, la BD de Charlier et Uderzo
offrait d'énormes possibilités
On s'est vite rendus
compte qu'en évoquant « Tanguy et Laverdure », on
faisait appel à des personnages qui sont presque dans le patrimoine.
Et puis surtout, cela représentait une propriété
artistique qui résonnait extrêmement favorablement aux
oreilles de l'Armée de l'Air, partenaire sans lequel nous naurions
pas pu faire ce film. Pourtant, si « Tanguy et Laverdure »
nous amenait beaucoup de choses valables, nous avons très vite
opté pour un film reposant sur une histoire contemporaine et
des héros modernisés. Depuis les années 60, les
menaces ont changé autant que les pilotes ont évolué,
ainsi que les avions, la mécanique et la technique. Et très
naturellement, on en est venu à considérer que les Tanguy
et Laverdure d'aujourd'hui seraient Marchelli et Vallois, d'autres pilotes,
d'autres noms, une autre histoire.
Laurent Brochand
Gérard avait déjà collaboré avec Gilles
Malençon sur l'un de ses scénarios. A la lecture de ce
dernier, il nous avait paru déjà extrêmement efficace
et surtout structuré à l'américaine, ce qui est
peu fréquent dans les scénarios français. Il avait
donc une bonne culture de la construction narrative sur les films d'action
et d'aventure. D'autre part, il s'avère que Gilles Malençon
est un fan absolu des pilotes, il connaît très bien l'aviation
et les contraintes scénaristiques liées à ce domaine.
C'était un problème qui disparaissait d'un coup, car prendre
la plume et décrire une scène de combat aérien
quand on n'y connaît rien, c'est extrêmement difficile et
éprouvant. Avec Gilles, ça devenait facile et c'était
même un plaisir.
Eric Altmeyer
On touche là le gros parti pris sur lequel repose la production
du film : être dans le vrai. C'est le choix, je dirais même
l'intuition fondamentale de Gérard : filmer de vrais avions dans
les situations les plus réalistes possible, au plus près
des actions décrites dans le scénario. C'est d'ailleurs
assez amusant de constater que nous avons beaucoup travaillé
à se passer des images 3-D et de créations virtuelles
qui faisaient figure du nec plus ultra technologique il y a cinq ans.
Mais qui, à notre sens, dénaturent complètement
les films d'action hollywoodiens aujourd'hui
Laurent Brochand
C'est ce parti pris qui a rendu nécessaire une collaboration
étroite avec l'Armée de l'Air en général,
et en particulier avec notre conseiller spécialisé, le
Commandant Stéphane Garnier
Commandant Stéphane Garnier
C'est une implication qui s'est déroulée sur deux ans.
Mon premier rôle a consisté à aider le scénariste
du film, Gilles Malençon, à découvrir le monde
de l'aviation de chasse. J'ai consacré beaucoup de temps à
lui expliquer mon cursus et celui de mes camarades, je l'ai emmené
dans les escadrons, il m'a accompagné lorsque j'effectuais certains
vols
Il s'est mis dans un coin et s'est fait oublier. Il a pu
ainsi observer les relations entre les gens, la façon dont les
choses se passaient, etc. Ensuite, il a commencé à mettre
en place ses idées et mon rôle a consisté à
répondre à une quantité incroyable de questions
: il fallait que je fasse en sorte que ce qui était écrit
dans le scénario soit plausible. Et ça a duré un
certain temps puisqu'il y a eu presque vingt versions du scénario
!
Ensuite, il y a une deuxième étape très intense,
cette fois avec le réalisateur Gérard Pirès et
peu après, avec le responsable des prises de vues aériennes,
Eric Magnan. A trois, nous avons étudié comment réaliser
la partie aérienne de l'histoire, et procédé au
découpage des scènes, en un nombre incalculable de plans,
qu'il fallait pouvoir réintégrer en missions aériennes
Car le but du jeu était assez clairement établi : l'équipe
du film avait la possibilité de pouvoir filmer les missions d'entraînement
de pilotes, et non pas des pilotes en train de faire du cinéma
! Donc mon rôle a consisté à insérer ces
plans par petits morceaux dans des missions d'entraînement classique.
Ça a été un long travail de fourmi parce qu'il
y avait six cents plans aériens...
Eric Magnan
Quand le scénario disait : un avion tournoie derrière
un autre, ça voulait à la fois tout et rien dire
! Il fallait imaginer ça en termes de prises de vues aériennes,
mais aussi de gestion de risques. Donc il y a eu, d'une part, un travail
artistique consistant à fixer précisément ce que
voulait Gérard, et puis, d'autre part, un travail de faisabilité,
visant à préparer absolument tous les plans. Je faisais
des dessins en trois dimensions pour déterminer où étaient
placés les avions, à la bonne échelle, où
était le soleil, et je dessinais les angles de caméra.
Tout ça doit être complètement préparé
parce qu'on ne peut en aucun cas improviser avec des avions qui se déplacent
à 1000 km/h. On a eu des scènes avec quinze avions en
même temps
On faisait donc de très gros briefings
et notre philosophie était de dire ce qu'on allait faire et de
faire ce qu'on avait dit. On n'improvisait pas. Il y a eu un gros travail
avec les pilotes, pour voir et affiner ce quil était possible
de faire, ce qui nous a amenés à effectuer des vols assez
incroyables.
Commandant Stéphane Garnier
Une fois que cet aspect des choses a été à peu
près réglé, il a fallu répondre à
la question : On a maintenant une histoire, la mise en scène
a créé un plan de travail, alors comment fait-on ?
Un énorme travail de logistique s'est mis en place avec l'équipe
de régie et avec le directeur de production. Il fallait compacter
les choses et réunir sur un même site le maximum d'éléments
pour le film, sans que cela ne perturbe le fonctionnement des bases
de l'Armée de l'Air. On a visité chacune de ces bases
et ensuite certains sites ont été retenus afin d'y tourner
telle ou telle scène. Il fallait parallèlement assurer
le suivi avec le service de l'information et de relations publiques
de l'Armée de l'Air, afin d'obtenir les autorisations nécessaires
pour chacun des moyens qui étaient indispensables à la
réalisation du film.
Eric Altmeyer
Il faut comprendre que sil y a trois ans, les autorités
de l'Armée de l'Air et le SIRPA AIR avaient réagi à
notre projet en disant : oui, bon euh
pff
on va vous
laisser faire, après tout pourquoi pas, on se serait heurtés
à d'innombrables difficultés à la fois logistiques
et techniques, mais aussi dans les rapports humains. Au contraire, on
a eu affaire à des gens qui ont eu d'emblée envie de réaliser
quelque chose d'unique et d'exceptionnel.
Le tournage commence en juillet 2004. Dans le
ciel de Paris
Laurent Brochand
Pour le défilé du 14 juillet. Avec dix caméras
disséminées à travers la ville et la première
utilisation effective du pod que nous avions fait fabriquer
Eric Magnan
Car pour faire ce film, on avait en fait besoin de matériel qui
n'existait pas. Il fallait pouvoir filmer les Mirage 2000 dans toutes
les situations, à toutes les vitesses, à toutes les altitudes
et il n'y avait aucun moyen existant dans le monde pour filmer comme
ça. On a donc pris un bidon supplémentaire de 2000 litres
qui se fixe sous l'aile d'un Mirage 2000 qu'on a fait modifier par Dassault
Aviation, en collaboration avec l'Armée de l'Air, pour y intégrer
cinq caméras. Ces cinq caméras étaient disposées
selon des angles bien choisis. Elles étaient commandées
de la place arrière du Mirage 2000 biplace, avec un boîtier
de commande qui était relié par radio. Voilà comment
on a pu obtenir un moyen d'effectuer des prises de vues complètement
uniques.
Comment ça se passait dans les airs ?
Eric Magnan
Pour chaque scène de combat - et il y en a beaucoup dans le film
- il fallait faire des figures de voltige qui impliquaient beaucoup
d'éléments. Il fallait que les avions soient proches,
que la scène raconte quelque chose, c'est-à-dire que le
côté esthétique de l'affaire était très
important aussi. On ne tournait pas n'importe où, à des
heures particulières, avec ou sans nuages
Puis il fallait
continuer à cadrer pendant que les avions évoluaient en
voltige, et il y avait toute une dimension de sécurité
dont on ne pouvait bien sûr pas se départir. On ne peut
pas faire n'importe quoi lors de ce genre de manipulation. Pendant les
briefings, on cherchait les points de jonction entre la sécurité
et ce qu'on voulait faire pour avoir un rendu artistique optimum. Pendant
le vol, j'étais assis à l'arrière, les yeux rivés
sur le contrôle vidéo. Les pilotes ne voyaient pas ce que
filmaient les caméras, donc je devais les guider. Lors d'une
série de voltiges où les avions étaient en patrouille
très serrée, je pouvais leur dire : L'avion sort
un peu du champ. Bien sûr, je ne le disais pas ainsi. En
vol, j'utilisais des mots très courts et qui avaient été
briefés avant. C'était vraiment intense
Commandant Stéphane Garnier
J'ai montré le résultat aux pilotes de l'escadron dans
lequel je vole, et beaucoup se sont dit : Ce sont des images truquées
! Car dans l'inconscient collectif, on a l'habitude de voir des
images embarquées tournées caméra à l'épaule,
procédé qui procure un certain nombre d'imperfections
aux images. Là, l'image semble irréelle tant elle est
stable et pure. Mais non, les images ne sont pas truquées
Revenons sur terre. Comment s'est déroulé
le casting du film ?
Eric Altmeyer
Le casting est le fruit d'un choix primordial. Gérard et nous
voulions par-dessus tout qu'il puisse refléter lidée
que malgré les avions, la beauté des prises de vues aériennes
et le côté spectaculaire du film, la priorité était
de raconter une histoire, avec de vrais personnages. C'est-à-dire
que tout le pari de cette production, depuis l'écriture du scénario
jusqu'à la postproduction, c'était d'aller au-delà
du simple film d'aventure ou du gros film d'action. Il fallait enrichir
le sujet et la matière avec une identification forte aux personnages
et la transmission d'une émotion, d'une crédibilité
dans leur trajectoire personnelle. Gérard sentait bien que c'était,
pour lui aussi, l'occasion de faire de ce film non seulement un film
d'action, mais un grand film tout court.
Laurent Brochand
Il nous fallait créer un tandem de comédiens qui soit
en cohérence avec l'image du titre que nous avions souhaité
conserver, Les Chevaliers du Ciel (2004), un tandem qui véhicule
un certain idéal de courage et de panache. Benoît Magimel
s'est imposé immédiatement, et il s'est avéré
très rapidement emballé par le sujet. En face de Benoît,
qui représentait plutôt le beau gosse taciturne, il nous
fallait trouver son pendant, un personnage plus rockn roll
doté d'un vrai sens de l'humour, un peu dans l'esprit de l'opposition
Tony Curtis - Roger Moore dans la série Amicalement vôtre...
(The Persuaders!) (1971) . C'est ainsi qu'est arrivé Clovis,
avec qui Benoît avait très envie de tourner
Eric Altmeyer
Alice Taglioni est pratiquement la première à avoir été
castée sur le film. On l'avait découverte dans La Bande
du drugstore (2001) et lui proposer le rôle était comme
une évidence. On ne savait pas à l'époque qu'elle
était en plus passionnée par les avions
Laurent Brochand
Puis, avec Géraldine Pailhas, dans la peau d'une jeune diplômée
de l'ENA au service du Premier Ministre, et Philippe Torreton dans celui
du patron des Services secrets, on savait qu'on disposait de l'affiche
pour le film d'action intelligent qu'on avait en tête
Restait
à aménager pour eux, et notamment pour ceux qui interprétaient
des pilotes, Benoît, Clovis et Alice, la préparation pour
qu'ils deviennent des pilotes crédibles
Commandant Stéphane Garnier
Un peu comme je l'avais fait avec le scénariste, jai emmené
les comédiens principaux, notamment sur la base d'Orange, dans
l'univers particulier qu'est un escadron de chasse. On a aussi passé
beaucoup de temps ensemble de manière à ce que je puisse
leur faire partager ma passion. Ils ont ensuite découvert l'aéronautique
militaire par le biais de la simulation. Ils ont suivi une vraie instruction
au simulateur, telle que la font les pilotes de chasse dOrange,
ce qui leur a permis de connaître un petit peu le Mirage 2000.
Et surtout, l'Armée de l'Air leur a offert l'opportunité
de faire un vol en Alpha Jet ! Ils ont découvert ce qu'est le
quotidien d'un pilote, la préparation de sa mission, le briefing,
l'exécution - donc le vol - et puis ensuite tout ce que l'on
fait au retour d'une mission. Ils ont vraiment pu bénéficier
du travail qu'on avait fait en amont. Tout ce qu'on avait vu au simulateur,
ils l'ont vu, cette fois-ci, en vol. Et tout ce travail leur a servi
dès le début du tournage, qui commençait par des
scènes dans un cockpit monté sur un bras articulé
Pendant les prises, on avait une liaison radio et je faisais référence
à des choses que l'on avait vues ensemble au simulateur. Je leur
disais : Rappelle-toi, ce que tu fais là, c'est ce que
je t'ai montré dans telle phase, etc. Donc voilà ce que
tu as à mimer. Enfin, lorsque les scènes de comédie
se sont tournées sur la base à Orange et à Djibouti,
ils disposaient alors de suffisamment d'informations pour les aider
à composer et jouer des attitudes ou des réactions vraisemblables.
Ils ont eu l'occasion de passer beaucoup de temps avec les pilotes,
notamment sur la base aérienne dOrange, c'est aussi ce
qui leur a permis de prendre à la volée les choses qui
les intéressaient, et leur servaient pour mieux camper leur propre
personnage
Eric Altmeyer
Ce qui est très excitant sur ce genre de projet, c'est qu'on
est obligé de faire des choix dans un domaine inconnu. On n'avait
qu'une seule référence en matière de films d'avion
et d'action qui était Top Gun (1986) . Depuis, plein d'autres
films incorporent des scènes d'avion, dont certaines qui sont
d'ailleurs très réussies, mais ce ne sont que des interventions
ponctuelles. Donc le choix a été pris très tôt
- que ce soit au niveau de l'histoire, mais aussi de la qualité
des prises de vues aériennes - d'essayer de faire aussi bien,
sinon mieux, mais en tout cas différent. On ne pouvait pas se
permettre de reproduire un modèle préexistant pour simplement
s'y comparer.
Entretien avec Gérard Pirès, réalisateur
des Chevaliers du Ciel
Entre
les avions et l'action, il y avait beaucoup de choses dans Les Chevaliers
du Ciel (2004) qui ne pouvaient que vous plaire
Il y avait deux choses qui m'intéressaient, c'était évidemment
de traiter l'aviation en images, mais aussi d'avoir l'occasion de travailler
avec des comédiens de qualité, et de faire un film où
le jeu avait une importance capitale. Je les ai aussi impliqués
au maximum, sur l'aspect physique par exemple, en les faisant voler
dans les conditions des pilotes de chasse. Il y a un petit côté
challenge avec Top Gun (1986) qui n'était pas pour
me déplaire.
Entre tout ce travail de fond effectué avec les comédiens
et la dimension spectaculaire du film, peut-on dire que Les Chevaliers
du Ciel (2004) est un peu une synthèse entre vos premiers films,
qui étaient des aventures avant tout humaines, et ceux, plus
récents, où le suspense et l'action prédominent
?
Absolument. Ma plus grande satisfaction sur ce film a été
cette relation avec les comédiens. J'ai eu des acteurs qui venaient
d'horizons différents : Benoît Magimel qui est un comédien
assez intérieur, à la nature réservée
mais qui avait une vision très analytique de ce qu'il faisait
; Clovis Cornillac qui est un boulimique du tournage, il adore ça
! ; Géraldine Pailhas qu'on n'a pas l'habitude de voir dans ce
genre de film et qui m'avait dit une chose qui m'a beaucoup touché
la première fois que nous nous sommes rencontrés : Mais
pourquoi as-tu pensé à moi ? Ce à quoi j'ai
répondu : Parce que tu es comédienne ! (rires)
Idem pour Philippe Torreton, qui voulait depuis longtemps faire un film
entertainment alors qu'on ne lui en avait jamais proposé
Enfin Alice Taglioni, que j'ai rencontrée quand elle était
au théâtre. Le hasard a fait qu'elle avait beaucoup d'affinités
avec le milieu de l'aéronautique : son frère est pilote
d'hélicoptère. Alice, il faut l'abattre pour la faire
descendre d'un avion !
Et à vous entendre, les natures profondes
de Benoît Magimel et Clovis Cornillac semblaient coller tout à
fait avec le tempérament des personnages qu'ils devaient incarner
: l'un plus introverti et l'autre plus énergique
Oui, c'est vrai, cela correspondait. Mais on ne peut dire ça
qu'à posteriori. Ce ne sont pas des choses sur lesquelles on
a pu se déterminer à l'avance, et bien que la mission
d'un comédien soit la faculté d'interpréter, il
est vrai qu'ils ont ici des personnages proches d'eux-mêmes. Cela
s'est vérifié au fur et à mesure.
Vous avez souvent comparé le travail du
pilote et celui du réalisateur, en affirmant que ces deux activités
avaient en commun l'obligation de prendre rapidement des décisions
dans des contextes difficiles. Est-ce que, avec Les Chevaliers du Ciel
(2004) , vous avez eu la sensation d'avoir pris ces bonnes décisions
?
Je vais dire oui
Enfin on verra surtout ça à l'atterrissage,
c'est-à-dire à la sortie du film
Il a surtout fallu
que je prenne des décisions d'ordre technique, sur la façon
de filmer les scènes aéronautiques. Il fallait que ce
soit original et efficace. Parce que quelquefois, on est original, mais
pas efficace. L'un n'est pas obligatoirement synonyme de l'autre.
A ce propos, est-ce que les premières images
qu'Eric Magnan vous a rapportées du ciel vous ont bluffé
immédiatement, ou a-t-il fallu leur donner quelques modifications
?
Les premières prises de vue étaient très encourageantes,
c'est-à-dire pas à 100% de ce que j'espérais pour
le film. Je trouvais qu'il y avait juste un peu de mou, que c'était
encore un peu trop contemplatif, un peu loin et les pilotes un peu timides
! Cela s'est rapidement corrigé, même hyper corrigé.
J'ai impliqué Eric dans le tournage parce que je ne pouvais pas
tout faire, qu'il est extraordinairement compétent et a une vision
très synthétique. Nous avons collaboré comme deux
techniciens très proches peuvent le faire, et cela s'est très
bien passé.
Il faut oser booster une équipe de pilotes
de chasse !
Je pilote toutes sortes d'avions et hélicoptères, je voyais
les plans dont j'avais besoin et, pour les obtenir, il est vrai qu'il
fallait aller au charbon. Je leur ai rappelé une phrase du photographe
Franck Capa : Si la photo n'est pas bonne, c'est que tu n'es pas
assez près. Et on est parti là-dessus ! Je n'ai
pas eu besoin de le répéter, ni à Eric, ni aux
pilotes !
Vous n'enviez pas parfois Eric Magnan d'avoir
passé autant d'heures dans un avion aussi mythique qu'un Mirage
?
En tout cas pas d'y avoir passé des heures et des heures, c'est
très éprouvant ! Ça n'a pas été une
partie de plaisir tous les jours pour lui, il était crevé.
Mais j'ai déjà eu la chance d'avoir volé en chasseur.
J'ai même volé en Russie sur un Sukhoi 27
C'est un
appareil assez violent, donc je ne me suis pas senti frustré
de ce côté-là !
Vous souvenez-vous des sensations que vous aviez
alors ressenties ?
C'était du plaisir et de la concentration. Autrement dit, exactement
ce que lon ressent quand on réalise un film.
Et en terme de mise en scène, comment vous
y prenez-vous pour transcrire ces sensations fortes ?
Simplement en tentant d'être le plus réaliste possible.
Ce qui n'est pas si simple, en fait ! Mais c'est une chose dont j'ai
été très demandeur pour les plans aériens
comme pour les scènes au sol, avec les acteurs dans les cockpits
sur vérins. Ils ont subi ce que subissaient les pilotes. Cette
exigence est l'une des choses qui devrait d'ailleurs distinguer Les
Chevaliers du Ciel (2004) des autres films qui ont été
faits sur ce sujet. Il y a un degré de réalisme qui a
rarement été poussé aussi loin. Certains plans
aériens réalisés par Eric Magnan ont même
été retravaillés en post-production pour accentuer
la perception de ces sensations. Le problème est que ce qu'on
ressent physiquement ne correspond pas forcément à ce
que capte la caméra. On peut ainsi filmer deux avions à
800 km/h, mais avoir la sensation qu'ils sont arrêtés.
Car si les deux volent à la même vitesse, ils sont à
0 km/h l'un par rapport à l'autre
Avez-vous été amené parfois
à devoir redonner du bougé aux images parfaitement
stables obtenues avec le pod ?
C'est effectivement arrivé. Il nous a fallu parfois dégrader
la qualité des images pour leur donner plus de réalisme
!
Comment s'approprie-t-on un film sur lequel il
y a tant d'intervenants ?
Ce n'est pas difficile. Quand on fait un film, on est un chef de chantier
et on n'est pas censé savoir tout faire, comme la musique par
exemple. L'intérêt du grand nombre d'intervenants est que
cela génère d'autant plus d'inventivité, de compétition,
de challenge. Il faut surtout susciter la passion chez tous les intervenants,
de façon à ce qu'ils aillent aussi au-delà d'eux-mêmes.
La notion de dépassement des limites est
effectivement constante dans ce film. Quelles sont celles que vous avez
été personnellement amené à repousser ?
C'est une question que je ne me pose pas ! (rires). La concentration
non-stop peut-être
Il y a beaucoup d'erreurs qui sont commises
par défaut de concentration. Il suffit de perdre le fil une fraction
de seconde et vous vous retrouvez à côté de la plaque.
Oui, c'est ça la vraie limite : ne jamais rien lâcher.
Et vis-à-vis de tout et tous !
Les comédiens ont également testé
leurs limites. Ainsi Clovis Cornillac évoque-t-il volontiers
une scène où il devait tenir lui-même les commandes
d'un biplan le temps qu'un hélicoptère le filme en gros
plan. Quel souvenir avez-vous de cet instant ?
J'en connaissais les risques. Il est toujours difficile de faire s'approcher
deux objets qui volent, surtout quand l'un est un hélico. Il
ne faut pas qu'ils se touchent
Et le pilote était tout
à fait au courant du problème ! Mais quand on travaille
avec des gens extrêmement compétents comme il l'était,
il n'y avait pas de raisons que cela se passe mal.
Et avec le recul, y a-t-il une chose que vous
auriez aimé faire différemment ?
On peut toujours tout mieux faire ! Chaque plan pourrait être
meilleur. Mais je crois que c'est comme en sculpture ou en peinture,
il faut savoir s'arrêter. On demeure toujours un peu frustré,
mais pour moi, la réalisation d'un film est un mélange
d'euphorie et de frustration. Et cela peut être fatigant parfois.
Et
quel souvenir avez-vous gardé de votre collaboration avec l'Armée
de l'Air ?
Ça a été une collaboration importante, mais je
pense qu'avec ce projet, ils sont tout aussi bénéficiaires
que nous. C'est une collaboration qui a déjà prouvé
son efficacité avec Top Gun (1986) : à l'époque,
l'armée américaine avait prêté toute une
base aérienne pendant deux mois ! J'espère leur renvoyer
l'ascenseur avec un film de grand spectacle apprécié par
le public. Les gens sur le terrain comme le Commandant Stéphane
Garnier, ont été passionnés par le projet. Tous
les pilotes se sont donnés à fond, il y avait énormément
d'enthousiasme. Et c'est cela qu'il faut retenir. On leur a demandé
des choses qu'ils ne font pas d'habitude et ils ont tout donné.
La collaboration du Commandant Garnier s'est prolongée jusqu'à
la post-production ?
Absolument. Je l'ai constamment impliqué dans le processus. Il
y avait des problèmes d'instrumentation à résoudre
: je tenais à ce que chaque information soit imparable, et il
y a eu un travail énorme entre Stéphane Garnier et Eve
Ramboz, qui s'occupait de tous les effets spéciaux. Toutes les
indications qui apparaissent sur les écrans de vol sont authentiques
et conformes à la réalité. Même pour des
plans qui durent une demi-seconde ! Le spectateur ne s'en apercevra
peut-être pas, sauf quand il fera, plus tard, des arrêts
sur image sur son lecteur DVD.
Quel bilan tirez-vous de cette expérience
?
C'est un film issu d'une passion unique. Tout le monde s'est défoncé...
Quelle place tiendra ce film dans votre filmographie
?
Pour l'instant, je suis surtout satisfait de l'addition des défis
techniques, et du plaisir que j'ai eu à travailler avec les comédiens.
Le temps de la réflexion n'est pas encore là !