L'aviation et le cinéma
Howard Hughes fut l'une des figures les plus fascinantes du XXème
siècle. Novateur influent, pilote émérite, grand
industriel, producteur glamour et aventurier casse-cou, il se considérait
avant tout comme... un aviateur.
Aviator (The Aviator) (2003) de Martin Scorsese recrée la période
la plus féconde et la plus mouvementée de la vie de Hughes,
du milieu des années Vingt à la fin des années Quarante.
Durant ces quelque vingt-cinq ans, l'Aviateur multiplia les défis,
s'investissant avec la même passion et la même audace dans
ses deux domaines de prédilection : l'aviation et le cinéma.
Multipliant les inventions, les conquêtes amoureuses, les bravades
et les pieds de nez à l'establishment industriel et financier,
Hughes mit régulièrement en jeu sa fortune et sa sécurité
personnelle. Ce fut la phase la plus glorieuse de sa vie, mais aussi celle
où il commença à payer le prix de sa célébrité,
de ses ambitions démesurées, de son perfectionnisme obsessionnel.
Pour faire le portrait de ce visionnaire féru de technologie, pour
recréer son monde, Martin Scorsese et son équipe ont marié
de façon originale les techniques numériques aux procédés
classiques du cinéma des années Vingt à Quarante.
La palette chromatique, minutieusement élaborée, capte successivement
les teintes pastel du Technicolor "bichrome" des années
Vingt et les couleurs éclatantes du "glorious Technicolor"
trichrome, qui prit le relais dès 1935, avant de rejoindre les
couleurs du cinéma actuel. En se replongeant ainsi dans les expériences
visuelles et sensorielles de Hughes et ses contemporains, le spectateur
revivra les émotions, les élans et les passions de ce personnage
hors normes et de toute une période de l'histoire américaine.
Aviator (The Aviator) (2003) réunit autour de Leonardo DiCaprio
certaines des figures les plus marquantes de la légende de Howard
Hughes : Katharine Hepburn (interprétée par Cate Blanchett),
Ava Gardner (Kate Beckinsale), Juan Trippe, directeur de Pan Am, qui fut
son principal rival et adversaire (Alec Baldwin), le fidèle bras
droit de Hughes, Noah Dietrich (John C. Reilly) et son ennemi juré,
le sénateur Owen Brewster (Alan Alda).
L'équipe regroupe plusieurs collaborateurs habituels de Martin
Scorsese, tels le directeur de la photographie Robert Richardson (Casino),
Dante Ferretti (chef décorateur de cinq de ses films), la chef
costumière Sandy Powell (Gangs of New York) et Thelma Schoonmaker,
qui a monté tous ses films depuis Raging Bull.
Le Scénario
L'image que l'on a généralement de Howard Hughes est celle
d'un milliardaire excentrique, reclus à Las Vegas, dont on se demanda
durant des années s'il était encore en vie. Peu de gens
connaissent la véritable histoire de cet homme mystérieux,
épris de risque et de beauté, qui accomplit en sa jeunesse
d'innombrables exploits en tant qu'industriel, pilote et producteur avant
de sombrer dans un monde d'angoisses, de paranoïa et d'incurables
phobies. C'est cette histoire que Martin Scorsese a entrepris de raconter
dans Aviator (The Aviator) (2003)
Le projet débuta à l'initiative de Leonardo DiCaprio. Après
avoir lu un récit des années de jeunesse de Hughes, l'acteur
se promit de consacrer un film à ce personnage de légende.
Conscient de ce que plusieurs grandes stars hollywoodiennes avaient vainement
tenté de traiter la vie de Hughes, DiCaprio adopta un autre angle
d'attaque, en choisissant de se focaliser sur la jeunesse visionnaire
et intensément créatrice de l'Aviateur, plutôt que
sur sa descente tardive dans la folie. Il proposa d'abord l'idée
au réalisateur Michael Mann, qui en confia le développement
et l'écriture à John Logan (Gladiator). Dans l'intervalle,
Mann ayant enchaîné deux films biographiques, décida
qu'il se contenterait de produire Aviator (The Aviator) (2003) DiCaprio
et son associé, Graham King, d'Initial Entertainment Group, se
tournèrent alors immédiatement vers Martin Scorsese.
Pour King, ce choix répondait à plusieurs critères
précis, dont le goût du risque et la cinéphilie encyclopédique
de Scorsese n'étaient pas les moindres : "Marty a un sens
aigu du détail et de la reconstitution. Il adore et respecte profondément
le cinéma de cette époque, et possède même
certaines des qualités dominantes de Howard Hughes : une extrême
précision, une grande faculté d'invention, un amour profond
du septième art. Nous avons pensé qu' Aviator (The Aviator)
(2003) lui donnerait l'occasion de faire quelque chose qu'il n'avait jamais
tenté à ce jour : une histoire située à Hollywood."
Craignant que Scorsese (qui hait l'avion !) ne soit rebuté par
le titre, King arracha la page de garde du scénario.
Précaution superflue : le cinéaste fut captivé par
la richesse et l'ampleur de la trame.
Martin Scorsese : "En tant qu'aviateur, Howard Hughes a accompli
des actes d'une incroyable bravoure. Ce personnage du XIXème siècle
fut un pionnier dans deux domaines-clés du XXème : l'aviation,
en tant que concepteur, dirigeant et recordman, et le cinéma, avec
des productions comme Hell's Angels ou Scarface. Ce fut aussi une grande
figure du show-business, mais l'histoire de sa vie aura été
finalement dominée par l'avidité, la corruption et la folie."
En développant le script, John Logan avait été le
premier surpris par la diversité de l'homme Hughes : "Le matériau
avait tout pour m'intéresser : sa dimension biographique, son souffle
épique, ses personnages à facettes comme je les aime...
Je considérais aussi Leo comme un casting idéal. J'étais
très accroché à l'idée d'écrire pour
lui."
Logan consacra une année entière à se documenter.
Durant cette période, il lut chaque biographie, chaque livre de
souvenirs touchant à Hughes, et consulta un vaste matériau
d'archives. De cette exploration au long cours, il retira une vision nouvelle
de l'Aviateur : celle d'un être humain à la fois brillant
et imparfait.
John Logan : "L'image que j'avais jusqu'alors de lui était
celle d'un vieillard décrépit, claquemuré dans une
chambre d'hôtel, qui se laisse pousser les ongles et les cheveux
et porte en guise de chaussures des boîtes de Kleenex vides. C'est
encore comme cela que la plupart des gens le voient. Mais j'allais découvrir,
derrière cette façade, un tout autre personnage : un jeune
héros, plein de fougue, multipliant les exploits et les coups d'éclat,
tant dans le domaine de l'aviation que dans l'univers hyper glamour d'Hollywood.
"J'ai commencé par lire les biographies courantes, puis je
me suis penché sur les principaux centres d'intérêt
de Hughes.
En me documentant sur l'aéronautique et l'ingénierie, j'ai
vu à quel point ses innovations avaient été brillantes.
J'ai appris quantité de choses sur le monde de l'aviation commerciale
et les conflits entre Pan Am et TWA, sur l'histoire d'Hollywood, la période
critique de la fin des années Vingt, les difficultés de
Hughes avec la Motion Picture Association et le Code de Censure. J'ai
lu en outre les biographies de certaines des sublimes créatures
qui partagèrent sa vie."
John Logan choisit d'inscrire cette histoire entre deux dates-clés
: le tournage de Hell's Angels à la fin des années Vingt
et l'émergence de TWA sur la scène internationale à
la fin des années Quarante. Son script n'évoque pas seulement
les aspects les plus glorieux de la chronique de Hughes, mais aussi les
"démons" qui le hantèrent et finirent par provoquer
sa chute.
John Logan : "Couvrir près de trois décennies en 2h45
m'obligea à résumer le déroulement des événements,
à fusionner certains personnages et à chambouler un peu
la chronologie. Le but n'était pas de capter toute la vie de Hughes,
mais de donner à voir l'homme dans sa vérité."
Graham King : "Howard Hughes a mené une existence hors du
commun. John Logan a trouvé le moyen d'en évoquer les épisodes
les plus passionnants, des cascades ébouriffantes de Hell's Angels
à l'envol triomphal de l'"Hercule". Il nous dévoile
aussi maints aspects méconnus de la vie de Hughes, de ses amours
à sa comparution devant le Sénat."
Une fois Scorsese engagé sur le projet, Logan fut incité
à explorer encore plus quavant les diverses facettes du personnage.
Durant plusieurs mois, Scorsese, DiCaprio et lui peaufinèrent ensemble
l'histoire pour la modeler à leur façon.
John Logan : "Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio sont les plus
exigeants, les plus coopératifs et les plus disponibles des collaborateurs.
Ils m'ont poussé à écrire le meilleur script possible.
Chacun de nous était décidé à traiter cette
vie avec le plus d'honnêteté possible. Marty et Leo, qui
se font une très haute idée de la vérité,
s'étaient engagés à sonder les moindres recoins du
personnage.
"La structure évolua moins au cours de notre travail commun
que l'approche de certaines scènes ou l'intensité dramatique
conférée à divers incidents. Marty vous apporte son
incroyable brio visuel, son sens du rythme, sa rigueur narrative et son
exigence d'authenticité, qui nourrissent l'écriture de chaque
scène. Leo, de son côté, est très à
l'aise avec le dialogue "d'époque" et sait ce qu'il convient
de faire dire à tout moment à un personnage. Il nous a lancé
plein d'idées de situations et de dialogues. Compte tenu de nos
personnalités respectives, ces réunions à trois ont
été extrêmement animées et fructueuses."
Séducteur légendaire, Hughes eut des liaisons avec plusieurs
femmes célèbres. Logan choisit de se focaliser sur deux
des plus importantes : "Il n'était pas question d'évoquer
tous ses amours. Nous avons décidé de nous concentrer sur
Katharine Hepburn, qui passe pour avoir été la relation
la plus importante de sa vie, puis sur Ava Gardner. Nous n'avons pas seulement
privilégié ces deux immenses stars parce qu'elles incarnent
deux modèles de féminité contrastés, mais
aussi en raison du rôle stabilisateur qu'elles jouèrent dans
l'existence de Hughes. Toutes deux ont contribué à dissiper
temporairement ses doutes et ses angoisses."
Logan explora aussi certains des problèmes cliniques de Hughes
: sa surdité précoce, source d'embarras et de maux divers,
et ses troubles obsessionnels compulsifs. Cette pathologie (non diagnostiquée,
car ignorée des psychiatres de l'époque), s'ajoutant à
une précoce et profonde phobie des microbes, peut expliquer certaines
de ses "excentricités" légendaires. Profondément
conscient de sa fragilité, Hughes craignit très tôt
de sombrer dans la folie : "Il savait qu'un jour, il perdrait cette
bataille", souligne Logan. "C'est la tragique conscience de
sa précarité qui rend cet homme solitaire si captivant et
si poignant."
"Une des choses qui fascine le plus dans cette histoire est de voir
ce jeune homme incroyablement séduisant, intelligent et plein de
vie, se métamorphoser en un adulte hanté par ses failles
et ses tares", résume Scorsese.
Leonardo DiCaprio : "Howard Hughes est l'une des figures les plus
énigmatique du XXème siècle. Aucun des nombreux livres
qui lui furent consacrés n'a pleinement élucidé ses
mystères. Plus on explore sa vie, plus on découvre de nouvelles
facettes de sa personnalité. Ce fut un rêveur et un visionnaire,
mais le paradoxe est qu'en dépit de tous ses succès, cet
immense industriel, ce grand aviateur, ce puissant producteur fut aussi
un homme profondément solitaire."
Le casting
Leonardo DiCaprio s'est passionné pour le destin de Howard Hughes
dès la lecture de sa biographie, et s'est battu pendant dix ans
pour faire aboutir ce projet et incarner ce personnage hors normes. Interprète
et producteur exécutif d' Aviator (The Aviator) (2003) DiCaprio
était pleinement conscient de se fixer une tâche de grande
ampleur.
Comment rendre justice à un homme aussi complexe et contradictoire,
connu à travers le monde pour son immense fortune et ses errements
? "Tant de gens se font de lui une idée préconçue
que cela, seul, rendait le rôle intimidant" avoue l'acteur.
"Cela m'obligeait à être le plus authentique possible."
Pour parvenir à ce degré d'authenticité, l'acteur
s'imprégna de son sujet pendant des mois, lut des biographies,
écouta des enregistrements, visionna des films et apprit même
certaines des audacieuses manuvres aériennes de Hughes. Au
fur et à mesure de ses recherches, DiCaprio retrouvait dans la
vie de Hughes certains éléments familiers à toute
figure charismatique, notamment un rapport conflictuel à la notoriété
et aux médias.
Leonardo DiCaprio : "Cet homme chercha à se protéger.
En dépit de ses ambitions affichées, il avait un besoin
vital de solitude, et c'est quelque chose que je ressens moi aussi très
fortement."
Hughes possédait une personnalité aventureuse, excentrique
et mue par un fort goût du risque - du genre qui marque son temps
et ouvre à ses contemporains de nouveaux horizons.
"C'était un homme étonnamment complexe", souligne
DiCaprio, "mais une chose au moins est sûre : il a pris des
risques inédits, que personne n'osait alors imaginer. Il aimait
passionnément l'aviation et le cinéma et a laissé
une empreinte durable dans ces deux domaines."
Plus encore que l'héroïsme et le glamour du personnage, DiCaprio
savoura les scènes intimistes où Hughes se retrouve, seul
et nu, face à ses peurs.
Leonardo DiCaprio : "Les moments les plus forts que j'ai vécus
sont les scènes de solitude de Howard Hughes. Là, Scorsese
et moi nous retrouvions en face-à-face, pour inventer, improviser,
creuser ensemble de plus en plus profond. Ce sont mes plus beaux souvenirs
de ce tournage."
Graham King : "Leo s'est réellement passionné pour
le personnage. Il a porté en lui cette histoire pendant des années,
en a vécu les émotions et en a toujours parlé avec
un grand enthousiasme. Au tournage, il a brillamment assuré la
transition entre le jeune homme fougueux, débordant d'idées,
des années Vingt et le Hughes de la maturité, torturé
par ses démons.
"Leo a même consulté des experts des troubles obsessionnels
compulsifs pour mieux comprendre les maux qui accablèrent Hughes
alors même qu'il commençait à s'affirmer dans ses
deux domaines d'élection. Il ne s'est permis aucune approximation,
il a livré une performance d'acteur d'une grande résonance
émotionnelle, dont je crois qu'elle capte la vérité
de l'homme. Je dois dire que je n'ai jamais vu un acteur travailler plus
dur que Leo sur Aviator (The Aviator) (2003) "
Pour le rôle de Katharine Hepburn - peut-être LE grand amour
de la vie de Howard Hughes -, Scorsese choisit Cate Blanchett. L'actrice,
bien qu'ayant déjà interprété plusieurs personnages
réels ou historiques (dont Elizabeth I, qui lui valut une citation
à l'Oscar), reçut cette proposition comme un challenge inédit.
Cate Blanchett : "Faire revivre à l'écran une personne
réelle dont les gens ont une image plus ou moins précise,
plus ou moins idéalisée, est une chose. Interpréter
une actrice, lui redonner vie dans le mode d'expression qui fit sa gloire,
est une tout autre entreprise. Je ne pense pas que je m'y serais risquée
avec un autre réalisateur."
"Marty et moi en avons longuement discuté. Il rejetait évidemment
toute idée d'imitation ou de pastiche, il voulait quelque chose
de plus profond qu'un numéro d'actrice. Il m'a demandé d'observer
les maniérismes et les gestes de Kate, la personnalité qu'elle
affichait à l'écran, pour essayer de capter sa vérité
intime et une part de son extraordinaire énergie.
"C'est avec un grand plaisir que j'ai revu à nouveau tous
ses films. Les stars de ce temps, comme Bette Davis, Humphrey Bogart ou
Hepburn, restent gravées dans notre mémoire non seulement
par leur look, mais aussi par leur voix. La sienne était très
particulière, mais je sais d'expérience qu'on n'utilise
pas dans la vie privée le timbre dont on se sert pour jouer. J'ai
donc étudié les interviews de Katharine. Elle n'en donna
pas beaucoup dans sa jeunesse, mais celle qu'elle accorda en 1973 à
Dick Cavett révèle une voix pleine d'allant, et m'a été
très utile.
"Howard et Katharine sont deux outsiders profondément excentriques
et séduisants. Issus de milieux différents, ils avaient
tous deux assez d'argent pour s'affranchir des contraintes sociales. Je
vois entre eux des similitudes profondes, quoique Katharine soit de tempérament
positif et extraverti, et Howard assez renfermé et introspectif."
Le rôle d'Ava Gardner, légendaire déesse de l'écran,
fut proposé à Kate Beckinsale : "Clark Gable aurait
dit d'elle : "Ava, c'est un "pote", qui boit sec, qui jure
comme un charretier et qui se trouve posséder le plus beau corps
de femme du monde !" En d'autres termes, c'était une fille
formidable, généreuse, et aussi paumée que tout un
chacun."
John C. Reilly (Gangs of New York, Chicago) tient le rôle-clé
de Noah Dietrich, administrateur financier de Hughes : "Un type aussi
excentrique que Howard Hughes avait besoin que quelqu'un s'occupe de ses
affaires. Noah fut cet homme. Il faisait la navette entre la Hughes Tool
Company de Houston, d'où venait l'argent, et Hollywood, où
Hughes le dépensait", explique Reilly.
Alec Baldwin interprète Juan Trippe, directeur de Pan Am, figure
de l'establishment issue de la prestigieuse université de Yale
et principal rival de Howard Hughes : "Trippe fut l'un de ces grands
visionnaires qui dans les années Vingt et Trente forgèrent
le destin de l'aviation commerciale. Hughes mérite les mêmes
qualificatifs, mais c'était un "maverick" texan, uvrant
en marge du système, alors que Trippe appartenait à l'élite
de la côte est et bénéficiait de solides accointances
politiques. Ils n'en partageaient pas moins une profonde passion pour
l'aviation, et je pense qu'ils étaient conscients de leurs similarités,
comme le sont souvent les plus âpres rivaux."
Alan Alda, qu'on a rarement vu dans ce type d'emploi, interprète
le redoutable sénateur du Maine Owen Brewster, qui tenta vainement
de briser Hughes en instiguant une enquête sénatoriale.
Graham King : "C'est un casting audacieux, mais Marty a fait confiance
aux talents d'Alan, et celui-ci a donné au personnage un relief
inattendu. Il l'a si bien joué qu'on sent la corruption suinter
de tous les pores de sa peau."
La distribution comprend également : Jude Law (pour une courte
apparition dans le rôle d'Errol Flynn) ; la chanteuse Gwen Stefani
dans le rôle de Jean Harlow ; Matt Ross (Glenn Odekirk, ingénieur
aéronautique en chef de Hughes) ; Danny Huston (Jack Frye, président
de TWA) ; Adam Scott (l'attaché de presse Johnny Meyer) et Kelli
Garner (la jeune starlette Faith Domergue dont Hughes s'efforcera de faire
une vedette).
Le Look du film
Howard Hughes évolua au sein des deux industries les plus actives
et les plus glamour de son temps : l'aviation et Hollywood. Pour en recréer
le dynamisme, Martin Scorsese s'entoura d'une équipe d'élite
partageant son sens du détail et son exigence de précision.
Scorsese est connu depuis longtemps pour l'impact visuel de ses mises
en scène. Aviator (The Aviator) (2003) est sans doute son film
le plus ambitieux à cet égard, qui demandait une maîtrise
technique à tous les niveaux. Scorsese assuma lui-même une
large part de sa conception visuelle, en décidant de recréer
à sa manière l'esthétique du cinéma des années
Vingt à Quarante. S'appuyant sur la technologie numérique,
il manipula subtilement la palette et le look d' Aviator (The Aviator)
(2003) pour qu'ils fassent écho à l'évolution d'Howard
Hughes durant cette même période.
Comme à son habitude, Scorsese pré-visualisa chaque scène
du film, y compris les angles de prises de vues, avant de demander à
son équipe de l'aider à concrétiser sa vision.
Robert Richardson : "Marty souhaita que les images d' Aviator (The
Aviator) (2003) reflètent quelques grandes étapes de l'histoire
du cinéma en couleurs et les changements techniques intervenus
au fil de trois décennies. Il sait à tout moment quels objectifs
nous utilisons sur une scène, et du fait qu'il aime voir en permanence
les yeux des personnages, par lesquels s'expriment leurs émotions
secrètes, je m'arrange pour éclairer l'acteur en conséquence
et à adapter le contraste à sa demande.
"Dans Aviator (The Aviator) (2003) la diversité des lumières
reflète celle des univers représentés. Dans les scènes
aériennes, notamment lors du crash nocturne du XF-11 sur Beverly
Hills, l'environnement dicte en grande part les éclairages, le
contraste entre les ténèbres et les flammes qui dévorent
l'appareil et envahissent l'écran. Dans des scènes intimistes
comme les face à face d'Howard et Katharine Hepburn, l'ambiance
est tout autre, les éclairages sont plus estompés, plus
contrôlés, en harmonie avec les sentiments et émotions
du couple."
Le chef décorateur Dante Ferretti, qui est depuis plusieurs années
un collaborateur privilégié du réalisateur, eut la
tâche immense de recréer le monde, si ample et divers, de
Hughes, des plateaux hollywoodiens aux somptueuses résidences art
déco en passant par les gigantesques hangars et ateliers de la
Hughes Aircraft.
Parmi les décors les plus vastes d' Aviator (The Aviator) (2003)
figure le Cocoanut Grove, légendaire night-club hollywoodien.
Inauguré en 1921, le Grove devint vite le lieu de rencontres favori
de l'élite du septième art, qui appréciait son décor
"marocain" rococo et la qualité de ses orchestres et
chanteurs. Hughes en fut un client assidu durant une vingtaine d'années.
Il y donnait aussi volontiers ses rendez-vous d'affaires que ses rendez-vous
galants. La première séquence du Grove se déroule
en 1927 et rassemble pas moins de 500 figurants, dont une centaine de
couples de danseurs en tenue de soirée, d'accortes vendeuses de
cigarettes vêtues de probité candide, des danseuses se balançant
au-dessus des tables. Hughes y demande à Louis B. Mayer, tout-puissant
patron de la MGM, de lui fournir deux caméras de plus pour compléter
l'un des immenses combats aériens de Hell's Angels sur lequel il
a déjà mobilisé... 24 caméras. Mayer et ses
courtisans s'esclaffent et conseillent au jeune insolent d'arrêter
les frais et de regagner son Texas natal.
Dante Ferretti : "Notre décor est une représentation
très fidèle de l'original, quoique légèrement
plus petite. Je me suis basé sur des photos et divers documents
et suis même allé prendre les mesures sur place avec ma décoratrice
de plateau Francesca Lo Schiavo.
"Le décor devait permettre à Marty de manuvrer
aisément sa caméra et de choisir en toute liberté
les portions du champ qu'il souhaitait montrer ou dissimuler. Globalement,
le décor ne varie pas au fil de l'histoire, mais certains détails
changent pour marquer le passage des ans : la couleur des murs, une partie
de l'ameublement, les nappes, les cendriers, les baldaquins qui surplombent
le bar et la scène."
L'équipe déco construisit aussi de toutes pièces
deux décors clés de la vie de Hughes : son sanctuaire de
Hancock Park, sur Muirfield Road, qui abrita ses amours avec Katharine
Hepburn, et ses bureaux et sa salle de projection du 7000 Romaine Street,
où il passa d'innombrables heures.
Francesca Lo Schavio, collaboratrice de longue date de Ferretti, procéda,
pour décorer la résidence d'Howard, à une minutieuse
sélection : "Il fallait que chaque objet soit parfait... et
authentique. Howard était alors l'une des grandes fortunes d'Amérique.
Nous ne pouvions nous contenter de simples accessoires de cinéma,
il nous fallait des pièces d'époque, et c'est ce à
quoi j'ai travaillé pendant trois mois à Los Angeles, réunissant
les plus beaux meubles, tableaux, tissus et bibelots."
Dante Ferretti alla jusqu'à reconstituer en studio l'entrée
du légendaire Grauman's Chinese Theatre pour en retrouver l'apparence
exacte lors de la somptueuse première de Hell's Angels, (Les intérieurs
de cette séquence furent réalisés par la suite dans
l'enceinte même de la salle). Pour recréer le tournage de
Hell's Angels, Ferretti sélectionna une étendue déserte
proche de Santa Clarita, connue sous le nom de "Mystery Mesa".
Le résultat final propose une réplique parfaitement authentique
d'un plateau de cinéma des années Vingt, avec une très
remarquable collection de biplans réunie par le coordinateur aérien
Craig Hosking et son assistant, Matt Sparrow.
Craig Hosking : "Les appareils viennent des quatre coins des États-Unis
: Illinois, Texas, New York, Californie et même de l'Ontario.
Sept de ces avions sont des Fokker D-VII repeints aux couleurs des avions
de chasse allemands ; les sept autres sont des SE-V anglais. Certains
de ces avions pouvaient voler, tous étaient authentiques et d'un
réalisme irréprochable.
"On peut en dire autant de l'ensemble de la flotte d' Aviator (The
Aviator) (2003) Ainsi, c'est un vrai Sikorsky qui est utilisé dans
la scène où Howard se présente à Kate et l'emmène
faire un tour dans les airs. Il s'agit du seul appareil de la marque qui
vole encore, et on ne pouvait souhaiter plus proche de l'original.
"Nous avons également utilisé plusieurs appareils authentiques
dans les scènes où Howard peaufine et remanie son H-1 dans
l'espoir de battre le record de vitesse de Lindbergh."
À Hollywood, la production utilisa comme principaux décors
naturels : la Snowden House de Franklin Avenue (comme réplique
de la résidence hollywoodienne d'Ava Gardner) ; le Grauman's Chinese
Theatre ; l'ancienne résidence de Hughes au 211S Muirfield Road
(aujourd'hui propriété et habitat de l'agent Bob Bookman)
; le terrain de golf du Wilshire Country Club, jouxtant la résidence
de Muirfield Road ; le Woodland Hills Golf Course (pour la première
rencontre du couple Hughes/Hepburn) ; les salons art déco du Queen
Mary pour deux grandes réceptions ; une section de Beverly Hills
pour la reconstitution du crash de Hughes (dont plusieurs témoins
ont gardé le souvenir le plus vif).
Les costumes jouent un rôle aussi décisif dans la création
des ambiances glamour et sophistiquées où nous replonge
Aviator (The Aviator) (2003) La chef costumière Sandy Powell aborda
le projet avec "le désir très vif d'évoquer
trois décennies fascinantes et d'appréhender l'homme Hughes
derrière le mythe".
Sandy Powell : "J'ai été fascinée par la dualité
de ce personnage hautement médiatique, partagé entre le
monde glamour, sensuel et excentrique d'Hollywood, et celui, nettement
plus traditionnel et conservateur, de la grande industrie. À quoi
s'ajoutait une troisième face, privée celle-là. Il
a fallu jongler entre ces divers niveaux en inventant des vêtements
à la fois opulents et fonctionnels.
"Les mutations vestimentaires d'Howard sont particulièrement
éloquentes. Jeune, il témoigne d'une remarquable élégance,
commandant ses tenues chez les grands tailleurs londoniens de Savile Row.
Mais avec le temps, il se soucie de moins en moins de sa mise, quoiqu'il
continue de porter des vêtements onéreux. Après que
Katharine Hepburn l'a quitté, il s'effondre d'un coup, jette au
feu toute sa garde-robe et commence à s'habiller sur catalogue
ou dans les grandes surfaces.
"J'ai consacré beaucoup de temps à étudier des
photos d'époque et à me documenter sur les tissus en usage.
Il s'agissait le plus souvent d'images en noir et blanc, et ce fut donc
à moi d'imaginer les teintes de départ, tout en prenant
en compte les préférences des acteurs en matière
d'étoffes et de couleurs.
"La première moitié d' Aviator (The Aviator) (2003)
jusqu'à la séquence du Pantages, émule le look du
Technicolor bichrome, dont les teintes dominantes étaient le rouge
et le vert. Du fait qu'il était totalement impossible d'obtenir
un bleu authentique avec ce procédé, nous avons exclu cette
couleur.
"L'effet bichrome a affecté toute la palette de cette première
partie. Par exemple, la robe d'Hepburn dans la séquence du Grove,
en 1935, était dorée, mais le traitement bichrome lui a
ajouté une nuance de rose proche du satin. Pour la scène
du Pantages et la suivante (toujours en "bichrome"), j'avais
créé pour Kate une robe jaune, couleur un peu étrange
et d'un usage périlleux. J'étais consciente du fait qu'elle
tournerait au "vert moutarde", mais j'ai pris ce risque et je
trouve que cela fonctionne très bien dans ce contexte précis.
"Dans la deuxième partie du film, l'effet Trichrome est largement
mis à contribution. L'épisode où Ava vient porter
secours à Howard en est un bon exemple. Une partie de la scène
se déroule dans la salle de bains, où Gardner va aider Howard
à se raser et à reprendre ses esprits. Dante et Francesca
avaient couvert les murs d'un carrelage fabuleux, d'un vert intense. Cela
m'a inspiré le désir d'habiller Ava en rouge vif et turquoise.
"L'idée venait très précisément de Péché
mortel (Leave her to heaven), mélodrame flamboyant de John Stahl
interprété par Gene Tierney, que Marty nous avait fait visionner
en préproduction comme un splendide exemple de Technicolor trichrome.
Le film, éclairé par Leon Shamroy, tirait la scène
où Gene Tierney porte un peignoir turquoise avec un minuscule revers
rouge - un clash chromatique pour le moins audacieux ! Lorsque l'actrice
se tourne vers la caméra, on découvre que son rouge à
lèvres est de la couleur exacte du revers... et que ses yeux sont
de la couleur du peignoir. Gene s'allonge alors sur un sofa turquoise
orné de roses rouges, et c'est une fantastique symphonie de couleurs
qui éclate sur l'écran - un pur et inoubliable moment de
Technicolor !
"À New York, j'ai découvert un merveilleux tissu turquoise
dans lequel j'ai taillé le manteau d'Ava la brune puis un tissu
rouge sang que j'ai utilisé pour sa robe. Marty a donné
son accord. Ce fut mon hommage à Gene Tierney..."
La musique d' Aviator (The Aviator) (2003) contribue à l'authenticité
des ambiances en offrant un reflet précis des rythmes jazzy et
des chansons langoureuses qui accompagnèrent la jeunesse de Hughes.
Martin Scorsese travailla en étroite collaboration avec le superviseur
musical, Randy Poster sur les numéros "live" qui ponctuent
le film. La partition est l'uvre d'Howard Shore.
Randy Poster : "Marty a une connaissance encyclopédique de
la musique de ce temps. Lui et moi avons fouillé dans le répertoire
des chefs d'orchestre du Grove pour capter les sonorités exactes
de ces musiques. Nous avons cherché à reproduire les particularités
du style "big band" de chaque décennie, et ce jusqu'à
la tessiture de chaque instrument. Notre chef d'orchestre, Vince Giordano,
et ses musiciens, tous imprégnés de cette tradition, ont
créé ici quelque chose d'unique, de profondément
vivant et original. Des séquences années Vingt aux années
Quarante, les changements sont très subtils, mais le public les
ressentira de façon subliminale."
Trois chanteurs d'une même famille se produisent sur scène.
Le chanteur pop Rufus Wainwright interprète "I'll Build A
Stairway to Paradise" de Gershwin dans les années Vingt ;
sa sur Martha est l'interprète du mélancolique "I'll
be Seeing You", un grand succès Forties de Sammy Fain et Irving
Kahal ; leur père, le célèbre chanteur pop et folk
Loudon Wainwright, "After You've Gone" dans l'épisode
des années Trente.
Les effets spéciaux
On pense rarement "effets spéciaux" lorsqu'on évoque
le cinéma de Martin Scorsese. C'est pourtant l'alliance originale
et inventive des techniques numériques et traditionnelles qui a
permis au cinéaste de recréer pleinement les fastes de l'âge
d'or hollywoodien et les exaltantes et périlleuses expériences
de ce héros de l'aviation expérimentale.
À l'image de Hughes, usant de tous les outils low-tech et high-tech
de son temps pour réaliser Hell's Angels, Scorsese a fait appel
à une multitude de solutions techniques pour renforcer l'impact
d' Aviator (The Aviator) (2003) Le film tout entier peut être considéré
comme un "effet spécial", du fait que chaque scène
fut retravaillée en ordinateur pour recréer le look et les
couleurs des films hollywoodiens des années Vingt à Quarante.
Aviator (The Aviator) (2003) utilise aussi des techniques rarement employées
dans les films contemporains, en associant maquettes, modèles réduits
et mattes numériques.
Scorsese souhaita d'emblée une texture "tangible", un
feeling quasi artisanal, distinct de l'imagerie numérique. Mais
il désira aussi conférer à son film la richesse et
la précision visuelle d'un film contemporain. Pour atteindre ce
double objectif, l'équipe Effets spéciaux s'imposa une démarche
des plus inhabituelle : mixer l'ancien et le nouveau, réinterpréter
à travers le "filtre" des technologies actuelles les
recettes et procédés cinématographiques de la "vieille
école".
Ron Ames (Producteur exécutif des effets visuels) : "Martin
Scorsese se passionne pour l'histoire du cinéma, et cet amour du
septième art a été un facteur clé dans la
création d' Aviator (The Aviator) (2003) Marty n'est pas précisément
un technicien, c'est avant tout un narrateur, focalisé sur l'histoire,
les personnages et l'interprétation. Il n'en était pas moins
fasciné par la fièvre d'innovation technique de Hughes,
et a tenu à lui rendre hommage dans ce travail de reconstitution.
Il nous a fait confiance pour capter avec lui cette réalité,
en convoquant tout l'arsenal technique du cinéma, du plus traditionnel
au plus actuel."
Dès ses premières rencontres avec Ames et le superviseur
des effets visuels Rob Legato, le réalisateur indiqua que le style
visuel d' Aviator (The Aviator) (2003) s'inspirerait librement des films
tournés durant cette période de la vie de Howard Hughes,
mais avec une touche additionnelle de modernité.
"Marty adore depuis toujours les classiques du cinéma et nous
a encouragés à nous documenter sérieusement sur les
films de l'ère Hughes et à étudier les techniques
qui firent leur originalité", explique Legato.
Le premier challenge fut de recréer les avions expérimentaux
qui ont contribué à la légende de Hughes : le H-1
aux commandes duquel il battit des records de vitesse, l'avion espion
XF-11 et l'immense hydravion en bois "Hercules" lesquels
ont tous disparu ou sont hors d'état de voler. Plutôt que
de concocter des répliques virtuelles plus ou moins approximatives
de ces avions, Scorsese et Legato décidèrent ainsi
qu'on l'aurait fait à l'époque d'en fabriquer des
maquettes et modèles réduits détaillés. S'appuyant
sur les plans originaux de Hughes, Legato et son équipe construisirent
une large gamme de modèles réduits d'une grande sophistication,
notamment des répliques au 1/4 radioguidées et équipées
de vrais moteurs. La recréation est si précise, la texture
si fidèlement reproduite, qu'il est pratiquement impossible de
distinguer la maquette de l'original tel qu'il apparaît dans les
documentaires d'époque.
Rob Legato : "Du coup, l'équipe a pu filmer ces appareils
presque comme si elle avait disposé des originaux. On était
dans un rapport quasi charnel avec ces avions, on a pu utiliser les mêmes
éclairages, les mêmes cadrages, les mêmes diaphragmes
que sur des appareils grandeur nature.
Grâce aux caméras motion-control, on a même pu filmer
des "décollages" en extérieurs naturels, de sorte
que le ciel et le soleil se reflètent sur le fuselage. C'est avec
de tels détails qu'on donne au spectateur l'occasion de vivre pleinement
cette formidable et palpitante aventure aérienne."
Le crash du XF-11 sur Beverly Hills, qui faillit coûter la vie à
Hughes, a inspiré une des scènes les plus dramatiques d'
Aviator (The Aviator) (2003) L'équipe Effets visuels y employa
à la fois une série de modèles réduits et
une réplique sculptée, grandeur nature, de l'avion, ce qui
permit à Scorsese de reconstituer l'accident dans toute son intensité,
sans mettre en danger l'équipe et les comédiens.
Rob Legato : "L'association de ces diverses techniques confère
à la scène une irréfutable authenticité. On
a vraiment l'impression d'assister à un vrai crash contre une vraie
maison, exactement comme Hughes le vécut."
Le drame fut tourné à Palos Verde, et, précise le
responsable des effets spéciaux Bruce Steinheimer, "le combustible
utilisé dans cette scène est de l'essence pure, et non l'habituel
mélange de kérosène et de propane. Les flammes ont
donc l'éclat et l'intensité qu'elles auraient eus en 1946.
C'est une première pour un film hollywoodien, et le résultat
est d'une parfaite vérité."
Plusieurs autres scènes associent étroitement miniatures
traditionnelles et décors numériques. Pour le très
bref vol inaugural de l'hydravion géant "Hercules", l'équipe
construisit ainsi un modèle réduit qui fut filmé
"live" sur un magnifique fond de ciel bleu, les flots et la
cité de Long Beach étant ensuite recréés par
infographie.
Pour les modèles radioguidés à l'échelle 1/4,
dont le XF-11, Legato s'adressa à une société spécialisée
dans la fabrication de drones.
Rob Legato : "Ils étaient très excités par le
projet car ils avaient vraiment envie de voir ces appareils voler à
nouveau. Il n'était évidemment pas possible de s'élever
très haut, et il fallut user d'expédients, par exemple grimper
en haut d'une colline pour simuler le vol du XF-11 à 700 mètres
d'altitude."
L'équipe Effets visuels eut aussi le plaisir de recréer
en numérique certaines des fulgurantes séquences de guerre
de Hell's Angels. Ce film, dont les combats aériens sont parmi
les plus beaux de l'histoire du cinéma, fut une référence
majeure pour Scorsese et son équipe. Les cascades y sont d'une
telle ampleur et d'une telle audace qu'il aurait été impensable
de les reproduire aujourd'hui avec de vrais avions et des pilotes.
Graham King : "Commencé en 1927, Hell's Angels avait plusieurs
décennies d'avance sur le cinéma de son temps. Marty voulut
le faire sentir au spectateur, et nous avons consacré beaucoup
de temps d'énergie créatrice à redonner vie aux exploits
cinématographiques de Hughes."
Incruster l'image de DiCaprio dans les plans tournés par Hughes
exposa l'équipe à un nouveau challenge.
Rob Legato : "Nous avons essayé d'émuler les images
d'origine de Hell's Angels en prenant en compte les limitations techniques
de l'époque, y compris ce léger tremblement de la caméra
que nous avons programmé en ordinateur. Cette scène, qui
figure parmi les premières du film, vous plonge dans une réalité
magnifiée, intensifiée, bien différente de celle,
objective et factuelle, qui s'impose graduellement au fil de l'histoire,
à mesure que s'en affirme la dimension dramatique."
En matière de couleurs, Scorsese entraîna son équipe
dans une démarche sans précédent : recréer,
à l'aide du numérique, le look du Technicolor bichrome des
années Vingt et du Technicolor trichrome des années Quarante.
Ron Ames : "Marty nous demandait là de recréer des
émulsions qui n'ont plus cours depuis longtemps. Il nous a donc
fallu utiliser astucieusement l'outil numérique pour imiter les
palettes restreintes du passé."
Les premiers films en couleurs étaient teintés au pochoir
ou, à partir du milieu des années Vingt, filmés en
Technicolor bichrome. On utilisait dans ce cas deux pellicules noir et
blanc, l'une exposée à travers un filtre rouge, l'autre
à travers un filtre vert. Au tirage, la combinaison de ces deux
pellicules engendrait un semblant de polychromie, mais, en l'absence de
filtre bleu, le résultat final laissait fortement à désirer
: la peau prenait des teintes vineuses, et le ciel se paraît d'un
vert surréaliste. Au milieu des années Trente, le trichrome
entra en scène et changea radicalement la physionomie du cinéma,
offrant aux premiers spectateurs de Les Aventures de Robin des Bois ou
d'Autant en emporte le vent des images d'une luxuriance qu'on a peine
à concevoir aujourd'hui.
Rob Legato : "Il était impensable de recréer le procédé
Technicolor avec de vraies caméras. La solution la plus satisfaisante
consistait à utiliser des stocks actuels et d'en "épurer"
les couleurs par des moyens informatiques. Nous avons donc créé
des "filtres numériques" qui aboutissentaux mêmes
résultats que le Technicolor d'origine, quoique avec des outils
infiniment plus puissants. Nous avons utilisé des filtres rouges
et verts pour les scènes antérieures à 1938, et y
avons ajouté des filtres bleus à partir de la fin des années
Trente. Nous avons eu le plaisir d'y travailler avec l'équipe Technicolor,
et le résultat est profondément original, pour ne pas dire
unique. Exactement comme si nous avions utilisé les caméras
Technicolor d'origine, mais avec notre sensibilité et notre style
contemporains."
Des années Vingt à 1938, Aviator (The Aviator) (2003) affiche
des couleurs "pastel ancien", tirant légèrement
sur le vert ; à partir de 1938 et durant les années Quarante,
il retrouve le plein éclat du "glorious Technicolor"
; à la fin du film, les couleurs évoluent discrètement
vers les teintes familières du cinéma de notre temps.
Rob Legato : "Les transitions entre ces trois looks sont extrêmement
subtiles et naturelles, de manière à constituer un simple
sous-texte. Marty n'avait aucune envie d'attirer l'attention sur les effets
visuels, il souhaitait au contraire qu'ils se fondent dans la narration.
C'est sa façon à lui d'opérer."
Ce traitement exigea, selon Robert Richardson, "la synergie totale
des départements photo, décors et costumes et de la technologie
numérique". L'équipe Effets visuels put s'appuyer sur
une large gamme de fournisseurs d'importance très variable, allant
de la micro-entreprise artisanale aux géants de l'informatique.
Adobe fournit son logiciel de référence After Effects, Sony
Imageworks accorda ses considérables moyens informatiques à
certains des plans numériques les plus complexes, tandis que divers
prestataires ou ateliers concouraient à la réalisation des
mattes et plans composites.
Responsable des effets sonores, Eugene Gearty (Gangs of New York, Le Temps
de l'Innocence) eut la lourde tâche de recréer les sonorités
d'avions
qui n'existent plus.
Dans l'impossibilité de faire voler les défunts HF-1 et
XF-11 ou "l'Hercules" (cloué au sol après son
premier essai), Gearty chercha des solutions de rechange, en commençant
par enregistrer les bruits de moteurs de multiples avions d'époque.
Mais ce n'était qu'un début, car il lui fallait encore capter
les vrombissements spécifiques de chacun de ces appareils durant
leurs évolutions et cascades, tout en éliminant les autres
bruits d'ambiance.
Eugene Gearty : "La solution que nous avons trouvée marque,
je pense, une première dans l'histoire du montage son. Nous avons
tout bonnement loué une série d'appareils anciens, les avons
transportés dans le Désert de Mojave et confiés à
des pilotes qui leur ont fait effectuer les manuvres et acrobaties
filmées antérieurement sur maquettes. Ces sons ont été
enregistrés à l'aide d'une vaste panoplie high-tech de façon
à coller au plus près à l'image. Ce n'était
pas toujours évident, car Marty, qui privilégie avant tout
la narration et le rythme, avait délibérément raccourci
le temps de chauffe des moteurs, nous obligeant à certains ajustements.
"Les sons de l'"Hercules" furent particulièrement
délicats à reconstituer, car cet énorme appareil,
doté de 8 moteurs et d'hélices de 6 mètres, n'a pas
volé depuis 1947. L'avion qui s'en rapproche le plus est le Constellation
de chez Lockheed, mais nous n'y eûmes pas accès. Nous nous
sommes donc rabattus sur deux B-52, dont les moteurs, quoique deux fois
moins gros, sont si puissants qu'on ne perçoit pas la différence.
Nous avons encore pu doubler et tripler le volume sonore de ces enregistrements,
et le résultat final me paraît on ne peut plus convaincant.
"Ce n'est, bien sûr, qu'un modeste composant, parmi quantité
d'autres dialogue, musique, etc. , et c'est bien qu'il en
soit ainsi. Marty n'est pas du genre à mettre l'accent sur tel
ou tel effet, mais il sait aussi que les éléments techniques
les plus pointus contribuent à la naissance d'un spectacle crédible."
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