Après
une longue et prolifique carrière comme comédien de cinéma
et de théâtre, vous passez à la réalisation.
Le projet vous tenait-il à cur depuis longtemps ?
Il y a très longtemps que j'avais envie de faire un film. Je
savais que je pouvais faire des images, mais l'écriture m'inhibait.
Comme beaucoup d'acteurs de ma génération, j'ai avant
tout une formation d'interprète, Conservatoire et Comédie
Française. En cela, je diffère de mes camarades Balasko,
Timsit, Chabat qui, eux, ont toujours écrit. Mais j'avais toujours
au fond de moi l'envie de raconter une histoire. J'ai écrit deux
scénarios que j'ai mis de côté. Et puis j'ai découvert
le roman de Jean-Marc Aubert : Kurtz. Le "pitch" du
livre a déclenché mon envie : un homme tombe amoureux
d'une femme et l'attend pendant cinq mois. A partir de là j'ai
construit un film tout à fait différent.
Qu'est-ce qui vous a intéressé
dans la description de cette relation amoureuse ?
C'est l'alchimie entre la séduction, le désir et l'amour.
Dans cette idée de l'attente, j'ai entrevu un sujet qui m'intéressait,
un sujet tout à fait actuel : le décalage entre
les hommes et les femmes dans les relations de séduction. Aujourd'hui,
les jeunes femmes héritières des combats féministes
de leurs mères ou de leurs grands-mères savent bien ce
qu'elles veulent. Elles ont conquis leur indépendance à
coup de luttes, de remises en question, de réflexions. Elles
ont découvert leur sexualité, leur place dans la société :
elles posent un regard lucide sur leurs partenaires masculins.
Pendant ce temps-là, les hommes n'ont pas évolué.
Ils ont été élevés dans les mêmes
schémas que leurs pères et leurs grands-pères :
c'est l'homme qui doit conserver le pouvoir et qui le concède
un petit peu, par bribes.
Même chez les hommes de 30 ans élevés
par des mères féministes ?
Moins peut-être, mais beaucoup quand même. Je remarque qu'ils
n'ont pas suivi la même évolution. Ces hommes-là
en face de ces femmes-là sont très déstabilisés.
Ils répondent maladroitement à ce qu'ils "croient"
qu'elles attendent. La plupart des films racontent des histoires d'amour
avec leurs complications, leurs difficultés inhérentes
à l'époque, à la culture, à la société.
Moi, je raconte cette histoire-là sous l'angle du décalage,
du rapport de force à la fois éternel et nouveau que les
hommes et les femmes d'aujourd'hui entretiennent. Eternel parce qu'il
a toujours existé, nouveau parce que c'est la femme qui impose
ses codes ou qui semble les imposer. Ce rapport de force, c'est aussi
de l'excitation, du désir.
Le film est d'ailleurs construit par thèmes :
le corps, la sexualité, la beauté, l'esprit, etc.
Toutes ces questions, les hommes et les femmes se les posent inévitablement
dès qu'il s'agit de séduction. Il y a chez les hommes,
comme chez les femmes, une certaine crédulité, une naïveté
très touchante dès qu'on aborde ces sujets-là.
Que devient la tendresse ?
Mes deux protagonistes sont essentiellement dans une relation de tendresse.
Un homme qui attend cinq mois pour une femme en faisant ce que fait
Etienne, est un homme qui aime autant qu'il désire. Etienne est
un homme tendre. Il le dit à Laure : "la tendresse
avec toi, c'est une évidence, je n'ai pas eu besoin d'apprendre".
Il n'a pas besoin de l'expliquer. Laure est sans doute une femme blessée,
prudente. Ce qui explique le choix de l'attente. Elle veut être
sûre.
Leur histoire est très romantique, au
fond. L'attente comme au siècle dernier, comme au temps des fiançailles
Pas du tout. On a tous envie d'aller vers ça. Le désir
est toujours aussi fort au bout d'un an entre Etienne et Laure. Leur
relation est intelligente, fondée sur la parole. Ils ont nommé
les choses. Ils communiquent. Dès le départ, c'est un
couple qui parle.
Un homme d'aujourd'hui qui, comme vous, raconte
le désir des hommes, c'est nouveau.
C'est vrai. Mais je raconte aussi celui des femmes : c'est Laure
qui dit "j'aime attendre, j'aime faire attendre". Pas Etienne.
C'est elle qui impose ses règles.
Une des scènes du film montre le décalage entre la sexualité
des hommes et celle des femmes. Les hommes ont-ils aussi à apprendre
dans ce domaine ?
Les femmes savent ce qu'elles attendent d'un amant et, quand elles s'en
vont, c'est souvent parce qu'elles ne sont pas satisfaites. Alors que
beaucoup d'hommes, c'est vrai, sont assez primaires. Ils vont trop vite.
Aujourd'hui, ils ont moins droit à l'erreur, c'est pour cela
qu Etienne, qui n'a rien d'une flèche, s'entraîne
avec une telle ardeur.
Vous avez écrit le rôle d'Etienne
en pensant à Patrick Timsit ?
J'ai délibérément choisi Patrick qui est le contraire
d'un play-boy. Le piège aurait été de faire interpréter
Etienne par un maître dans l'art de séduire. Je tenais
particulièrement à ce que cette femme très belle
tombe amoureuse de cet homme plutôt "normal". On voit
de plus en plus de couples de ce genre. Patrick a un charme fou. Il
peut être très émouvant. Il est étonnant
dans le film.
Comment avez-vous choisi Cécile de France
qui joue Laure ?
C'est une jeune actrice belge qui a très peu tourné. Nous
avons fait de nombreux castings, elle s'est imposée. Elle est
à la fois très belle et très bonne actrice, il
fallait qu'elle puisse tenir ce rôle qui est lourd. Elle est sexy
dans le film et nature dans la vie. A chaque rendez-vous que nous avions
pour travailler ou faire des essais, elle portait une robe rouge et
des chaussures vertes. J'ai fini par lui demander si elle aimait particulièrement
cette robe. Elle m'a répondu : "Je n'en ai qu'une,
je suis toujours en pantalon !".
Aux côtés de Patrick Timsit, vous
jouez Jacques, l'ami, le parfait séducteur. Lui ne se pose pas
de questions sur les femmes, il les consomme
Je voulais qu'il ait un ascendant sur Etienne en matière de femmes,
mais je n'avais pas écrit ce personnage pour moi. Et puis, je
me suis laissé convaincre par Patrick et d'autres
Je me
suis amusé à jouer ce rôle qui est l'antithèse
de ce que je raconte dans le film. Jacques incarne la majorité
des mecs, ceux qui placent leur pouvoir au bout de leur virilité.
"Mais saute-la !", c'est leur credo. Quand j'ai décidé
d'endosser le personnage, j'ai développé des failles,
une blessure, pour qu'il ne soit pas monolithique, ni trop caricatural.
Son histoire personnelle le rachète un peu.
Alain Chabat est savoureux, comme toujours, dans
ce personnage de gourou-escroc. C'est votre façon de railler
la mode de la philosophie orientale ?
Je respecte le bouddhisme, mais je voulais en dénoncer la récupération
mercantile et primaire. Ce gourou appartient à l'espèce
de ceux qui ont trois livres dans leur bibliothèque et qui n'ont
pas fini de colorier le deuxième ! Par ailleurs, Alain est un
acteur d'une grande finesse que j'apprécie énormément.
Vos personnages sont croqués avec un humour non dénué
de critique. Surtout les hommes, du reste. Est-ce parce que vous connaissez
bien leurs travers ? Cest une comédie, je m'amuse. Le film
est souvent drôle parce que les personnages sont dans des situations
intimes, à la limite du ridicule. Etienne croit être enfin
à l'abri au vestiaire du gymnase. Il voit un mec à poil
et ça le renvoie immédiatement aux questions qu'il se
pose, à sa propre virilité. A chaque fois, j'ai eu envie
de montrer les petits aspects cachés des hommes, de me payer
leurs grosses faiblesses qui me font rire, leur façon d'exercer
leur pouvoir même minuscule, de parler de "bite et de queue"
sans arrêt. Dans le film les femmes sont tendres, gentilles, intelligentes.
Elles sont plus positives. Sans pour autant tomber dans le cliché.
J'aime l'ambigüité de Laure.
Vous avez mis beaucoup de vous dans le scénario
?
Il y a un peu de moi dans tous les personnages. A vous de trouver !
Les dialogues sont souvent assez crus. Les personnages
parlent des choses du sexe avec beaucoup de naturel.
Je n'ai pas d'inhibitions par rapport au langage. Si on ne sait pas
aborder les choses sexuelles de façon simple, comment construire
une relation intime ? Et puis, ce sont des dialogues, j'aime les dialogues.
C'est un support indispensable pour un acteur.
Pourquoi avoir choisi ce titre, avec une parenthèse
à "délicat"?
J'ai mis "délicat" entre parenthèses pour souligner
le double sens du mot : la séduction est un art à
la fois fragile, sophistiqué mais aussi difficile et mystérieux,
parfois même douloureux et cruel.
Comment s'est passé votre travail avec
les acteurs ?
Quand on aime les acteurs, c'est extraordinaire de leur donner ce que
l'on sait, ce que l'on sent, pour les faire aller au meilleur de ce
qu'ils peuvent être. Entre Timsit et moi, existe depuis longtemps
une confiance, une complicité. Nous avons fait ensemble Pédale
Douce, Quasimodo. On ne s'est jamais menti, on n'a pas triché.
Il a adhéré tout de suite à l'histoire. Je lui
ai donné la première version, on a avancé dessus.
Ce qui ne veut pas dire que la complicité sous-entende la complaisance :
elle implique d'abord l'exigence. J'ai aussi eu une grande joie à
diriger tous les acteurs, mais aussi la figuration, à leur expliquer
les moindres détails. Je ne les ai pas traités comme du
bétail, comme cela se fait d'habitude. Un figurant est un acteur,
c'est important de lui montrer ce qu'il va faire : la scène
sera différente, forcément meilleure.
Vous semblez très exigeant, très
perfectionniste, soucieux du moindre détail.
J'essaie d'aller au bout de mon rêve. Avec ce film, je ne me suis
pas retenu ni freiné. C'est l'accumulation de milliers de détails
qui fait un film. Il faut essayer de ne lâcher sur rien.
A l'avenir, le réalisateur va-t-il prendre
le pas sur l'acteur ?
J'aime passionnément mon métier d'acteur. Mais j'ai évidemment
envie de faire d'autres films et d'aborder d'autres thèmes. Le
sujet de mon prochain film portera sur le pouvoir. La grande différence
entre les hommes et les femmes, c'est le besoin irrésistible
de pouvoir. Tous les hommes, même les plus humbles, en sont obsédés.